“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

jeudi 29 décembre 2011

On a de la chance de vivre aujourd'hui

Auteur : Kate Atkinson (1951-)

Traduction de l'anglais : Isabelle Caron
Editeur : Le Livre de Poche

Pour terminer l'année 2011, voici un irrésistible et réjouissant (vraiment, est-ce bien le terme approprié ?) petit recueil de nouvelles de Kate Atkinson, la pétillante Kate qui avait totalement séduit ses lecteurs lors de la rencontre autour des nouvelles fin octobre 2010. À ce propos, ne ratez pas les commentaires de ma cousine Hélène (Article C'est pas la fin du monde).
Quoi de réjouissant ? Le style, le rythme, l'énergie, l'ironie, le regard acéré, la plume mordante, du chien quoi ! Quoi d'affligeant ? Les sujets, notamment la place des femmes. À celles-ci, Kate Atkinson ne donne pas une unique et facile posture de victime. Elle les implique  fréquemment dans une attitude de servitude consentie précédent une éventuelle révolte dérisoire, inutile et suicidaire. La guerre contre les femmes m'a mise dans un malaise terrible. Dans la première nouvelle, celles-ci ont adopté une attitude de guerrière vengeresse, perfide et criminelle. Gare au gentil gars pensant avoir trouvé une charmante fiancée et une belle-famille pèpère...
Tous les récits sont nourris par les contes ancestraux ou ceux d'illustres prédécesseurs tel Lewis Caroll. La plupart des nouvelles m'a fait pousser de petits jappements de contentement. En réactualisant de façon magistrale La Dame aux camélias et La Traviata, la dernière m'a émue plus que je ne l'aurais jamais imaginé sur une starlette et un prince.
Les blogs de lecture dont les références apparaissent ci-dessous évoquent les romans de cet auteur superbe. Je crois qu'il va également être très difficile de ne pas aller fureter de ce côté-là. Pour mon plus grand plaisir.

http://www.lexpress.fr/culture/livre/on-a-de-la-chance-de-vivre-aujourd-hui_838241.html

http://enfinlivre.blog.lemonde.fr/2009/12/06/kate-atkinson-%E2%80%93-on-a-de-la-chance-de-vivre-aujourd%E2%80%99hui/

http://www.cathulu.com/archive/2009/11/16/on-a-de-la-chance-de-vivre-aujourd-hui.html

http://www.audouchoc.com/article-on-a-de-la-chance-de-vivre-aujourd-hui-kate-atkinson-46267859.html

http://www.cuneipage.com/archive/2009/12/04/on-a-de-la-chance-de-vivre-aujourd-hui-kate-atkinson.html



samedi 5 novembre 2011

Histoires des îles

Auteur : Jack London (1876-1916)

La (re)lecture de ce livre m'a enfin poussée à regarder sur la carte du monde où était située Hawaï. Oh, surprise ! J'ai découvert qu'il s'agissait non pas d'une île mais d'un immense archipel à cheval sur le Tropique du Cancer, en plein milieu de l'Océan Pacifique.
Jack London s'est rendu à de multiples reprises sur ces îles. Sur les traces de Hermann Melville, il y a cherché les origines, cherché le monde d'avant l'arrivée de l'homme blanc. Quand London débarque en 1907, ce monde rêvé est révolu. L'écrivain-voyageur s'enivre pourtant de ce qui en subsiste avant sa complète disparition. Illuminé par l'amour de ces îles, London se laisse aller dans ses écrits à plus de douceur et plus d'optimisme que dans ses écrits précédents.
Enthousiasmée par le recueil de nouvelles Les Tortues de Tasmanie, je me suis sentie encore plus profondément touchée par celui-ci. Il m'a semblé percevoir l'effort sincère et surhumain qu'y accomplit son auteur pour oublier qu'il est inadapté, oublier que les défauts du monde lui pèsent plus qu'à tout autre, oublier sa recherche éperdue et toujours cruellement déçue d'une transcendance, oublier qu'il n'est pas un oiseau, oublier encore qu'une partie de lui est déjà passée de l'autre côté du rideau. A Hawaï, Jack London éprouve un certain repos du corps et de l'âme. Il y est en sursis.
Les nouvelles sont d'inspiration très diverse. Qui accompagnant un vieil homme en lutte avec les grandes pieuvres, qui un détenteur des secrets de sépulture d'une très ancienne famille royale, qui voyant sombrer et ressusciter in extremis un couple "moderne" au terme d'un suspense haletant, qui recueillant la confidence passionnée d'une ancienne jeune fille amoureuse d'un prince flamboyant. Parce qu'il est humaniste, parce qu'il est sensible et qu'il prend des risques, Jack London réussit à nous faire vivre tout près des personnages et ressentir leurs émois. Voilà un auteur qui augmente notre épaisseur humaine, ajoute des personnages à notre cortège et peuple notre néant.
Je suis particulièrement heureuse de la récente réédition des écrits de London. Essayant de ne pas noyer mes chroniques dans les superlatifs, je me sens un peu ligotée. À la relecture, ces lignes me paraissent à la fois un peu artificielles et tièdes. C'est pourtant avec la plus brûlante envie de vous faire lire ce recueil que je termine cette modeste contribution.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hawa%C3%AF

http://www.lexpress.fr/culture/livre/histoires-des-iles_812554.html

http://www.ecrivains-voyageurs.net/lectures/lectures31.htm

mercredi 26 octobre 2011

Fortune de France

Auteur : Robert Merle (1908-2004)

Édition : Livre de poche.



13 tomes, 6 400 pages. Pour lire une telle saga jusqu’au bout, il faut y trouver du plaisir ; sinon, on abandonne en cours de route.
Pourquoi j’aime Fortune de France ? Les raisons sont si nombreuses qu’elles se bousculent de sorte que, voulant toutes les exprimer d’un seul coup, je risque d’en oublier la plupart. Je vais tacher de les expliciter un peu, ce qui risque de déboucher sur un inventaire à la Prévert, sans queue ni tête, tant il est impossible de les hiérarchiser.
Assez de préambule : allons-y !

Je n’aime pas les auteurs paresseux, et encore moins ceux qui prétendent l’être, voulant nous faire croire que l’écriture est quelque chose de facile et qu’écrivain est le plus beau métier du monde, le seul où l’on ait l’impression d’être toujours en vacances.
Robert Merle impressionne dès les premières lignes par le travail considérable, on le sent, qu’il a dû réaliser pour reconstituer la langue de l’époque. Les mots, les phrases, les sons (mais aussi, magie de la langue, les odeurs, les goûts…) : tout est là pour nous immerger complètement. A tel point d’ailleurs qu’on se surprend à rêver en ancien français, à employer des expressions étranges (se « ramentevoir » pour se souvenir, « s’acoiser » pour se taire, les « drôles » pour les garçons, les « garces »… pour les filles, etc.).
Outre l’aspect linguistique, j’aime l’histoire en elle-même, avec un petit « h ». Fortune de France est une saga familiale qui couvre 3 générations. A chaque génération, on suit en particulier un membre de la famille De Siorac, au départ une petite noblesse de province… qui va prendre du galon au fil des tomes et des générations, à mesure que les personnages rendent des services à leurs rois successifs. Les personnages sont attachants et suscitent de la tendresse, de l’admiration… ou au contraire de la haine pour certains (comme le clan Médicis par exemple). Aventure, action, réflexion, intrigues, amours (très libérées !), tout est là pour nous rendre accros.
D’ailleurs, j’ai avalé les huit premiers tomes en 1 mois.
Mais la langue et l’histoire ne sont pas tout : j’aime l’Histoire, avec un grand « H » ce coup-ci, telle qu’elle est racontée par Robert Merle au fil de cette saga. On sent, là aussi, qu’il a fallu un travail de recherche considérable. Pour cette remarquable reconstitution, quelques personnages de fiction nous guident, mais cela ne nous empêche pas de saisir les enjeux de l’époque, bien au contraire (« bien le rebours », comme on disait à l’époque).
Le point de vue est d’ailleurs particulièrement intéressant. Alors que bien souvent les romans historiques ou les biographies se concentrent sur les personnages centraux de l’Histoire – en général des chefs d’Etat – Fortune de France nous livre ici un point de vue décentré : celui de la petite noblesse de province (qui va aussi monter à Paris). Cela nous permet de nous familiariser avec la vie des gens ordinaires, des gueux, des petits bourgeois, des nobles, des rois, sans oublier les gens de robe puisque la religion occupe une place centrale dans le récit. La période couverte par la saga s’étend de la mort de François 1er (1547) et s’achève à la mort de Mazarin, qui marque le début du règne de Louis XIV (1661).
Cette période très troublée est marquée par les guerres de religion qui opposent les catholiques et la minorité protestante. Sur fond d’intolérance, de persécution, de massacres, mais aussi de tentatives de réconciliation, on suit les intrigues des fanatiques, tout-puissants, et de quelques (rares) humanistes. Le peuple, lui, complètement abruti et fanatisé par les prêtes, suit sans se poser de question.
Enfin, dernier registre sur lequel j’aime Fortune de France. C’est un excellent traité d’histoire des sciences et des techniques. On voit en particulier comment la médecine a émergé en abandonnant peu à peu la superstition et la pensée magique, ainsi qu’en s’affranchissant du discours des anciens, remplacé par une méthodologie plus scientifique, faite d’observation et d’expérimentation. Pour cet aspect, le tome 2 est particulièrement remarquable.
Il y a sans doute beaucoup d’autres raisons d’aimer la saga Fortune de France. Pour les découvrir, une seule solution : lisez-la !



Vous trouverez grâce à ce lien l'émission qui a été diffusée en 1950 et qui interrogeait Robert Merle :

Grâce au lien suivant, vous découvrirez l'actualité de Robert Merle sur France Culture :

dimanche 16 octobre 2011

Le koala tueur et autres histoires du bush

Auteur : Kenneth Cook (1932-1987)

Traduit de l'anglais (Australie) par Mireille Vignol
Editions Autrement Littératures

Avec des koalas teigneux et griffus, des crocodiles mangeurs d'hommes, un chien hypnotiseur de bestioles diverses, des serpents au venin mortel sans oublier les humains croisés ça et là, animaux les plus étonnants de cette Arche de Noé de l'hémisphère sud, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ne s'ennuie pas dans le bush australien.
Menés à un rythme soutenu, ces récits regorgeant de situations improbables et pourtant dites véridiques, burlesques ou terrifiantes, font penser aux Racontars en version caniculaire. Las ! l'auteur n'atteint malheureusement pas la profondeur et la qualité d'écriture de l'inimitable Jorn Riel. Malgré des évidents défauts de redondance dans le ressort des situations et des histoires qui ne se haussent pas au-delà de l'anecdote, cette lecture peut procurer un plaisir de distraction légère et une belle occasion d'hilarité.

http://herissonlecteur.canalblog.com/archives/2011/08/26/21826440.html

http://littexpress.over-blog.net/article-kenneth-cook-le-koala-tueur-et-autres-histoires-du-bush-61427359.html

mardi 4 octobre 2011

Les Tortues de Tasmanie

Auteur : Jack London (1876-1916)

Traduit de l'américain par Louis Postif
Éditions Phebus. Collection Libretto.

Dans la nouvelle de Raymond Carver Là d'où je t'appelle qui fait partie du recueil Les vitamines du bonheur, Franck Martin, le responsable du centre de désintoxication "plante son cigare dans sa bouche et croise les bras. Il le mâchonne en regardant de l'autre côté de la vallée. Il se tient là comme un boxeur, comme un mec qui connaît la musique. [...] Franck Martin décroise les bras et tire une bouffée de son cigare. Il fait des volutes avec sa fumée. Puis il lève le menton vers les collines et dit :
- Jack London avait une grande maison de l'autre côté de cette vallée. Juste derrière cette colline verte que vous regardez en ce moment. Mais l'alcool l'a tué. Que ça vous serve de leçon. Il valait mieux que n'importe lequel d'entre nous. Mais il n'arrivait pas à se maîtriser non plus.
Franck Martin regarde ce qui reste de son cigare. Il s'est éteint. Il le jette dans le seau.
- Les gars, si vous avez envie de lire quelque chose pendant votre séjour ici, lisez donc son bouquin, L'appel de la forêt. Vous voyez duquel je parle ? Nous l'avons à la bibliothèque, si vous voulez lire. C'est sur un animal moitié chien, moitié loup. Fin du sermon, dit-il, remontant son pantalon et tirant sur son sweater."

Au tout début de mon année de Seconde, en 1980, la librairie située à deux pas du lycée Lamartine à Paris avait bradé son stock avant de fermer. J'en avais profité pour acheter Histoires des îles. Sur la couverture, une photo montre Jack London en costume hawaïen. Premier contact empreint d'attirance et d'une certaine peur que je ne sais expliquer. J'attendis donc de nombreuses années avant de lire ce recueil. Puis je souhaitai qu'il fasse partie d'une des listes destinées à la rencontre autour des nouvelles mais les oeuvres de London n'étaient plus éditées au moment de la constitution de cette sélection. Fort heureusement elles le sont à nouveau. Cette immense oeuvre ressort, volume par volume, depuis quelques mois. Suite à la lecture de Raymond Carver, je suis allée chercher Les Tortues de Tasmanie dont j'ai récemment fait l'acquisition. Il s'agit du dernier volume édité avant la mort de London. Cette édition a elle aussi une photo de l'écrivain sur sa couverture. Photo très différente puisque London y pose en costume de monsieur. Ces photos sont envoûtantes. Plongeant dans l'objectif, le regard de London est fascinant. Il se donne et se protège ou se retire tout à la fois.

Dans ce livre, l'auteur m'a semblé plusieurs saisi par l'imminence du point final -la dernière nouvelle est intitulée La fin de l'histoire- Les nouvelles sont méditatives ou philosophiques. Les personnages sont touchés par la conversion ou la grâce d'une rencontre qui donne un sens à leur vie de questionnements ou d'errements.
Dans la première nouvelle, on observe deux frères que la manière de vivre oppose radicalement. L'un souhaite s'ancrer pour toujours, l'autre larguer les amarres pour longtemps, deux tendance opposées, inconciliables de Jack London, continuelles sources de tensions.
La mort est quasiment toujours présente. Face à elle, les personnages font le bilan de leur vie. Voici donc à nouveau une lecture qui nous incite à nous poser quelques instants et regarder en arrière pour mieux diriger notre paquebot vers le port.
Les styles et les genres sont extrêmement variés. L'une des nouvelles, La fin de Morganson, m'a laissée haletante. Quel talent prodigieux !
Dans la dernière nouvelle, il m'a semblé qu'en s'identifiant au médecin, en lui faisant tailler les muscles de son patient et gratter jusqu'à l'os, l'artiste créateur était Le Créateur, qu'il pouvait ressusciter l'homme.
Partout, j'ai ressenti les élans puissants de l'enthousiasme, la générosité, la soif d'aventure, la grandeur d'âme. Dans cette littérature, il y a un souffle puissant et un mystère insondable.

http://www.jack-london.fr/pages/toutSavoir/bio3.php

mercredi 21 septembre 2011

Les Vitamines du bonheur

Auteur : Raymond Carver (1938-1988)

Traduit de l'américain par Simone Hilling
Editions de l'Olivier / Le Livre de Poche, collection biblio roman


Outre la musique des mots et de temps en temps, le vertige du sens, la lecture d'un livre de bibliothèque procure le plaisir de toucher, caresser le papier, de se laisser attirer par une couverture et parfois s'abîmer dans la contemplation d'une photo. Celle qui orne la couverture de ce livre de poche m'a obnubilée. Des travailleurs fixent l'objectif. Bien que lointains, leurs regards sont pénétrants. Ils interrogent, interrogent et interrogent encore. Quelles questions me posez-vous ? Que voulez-vous me dire sur moi ?
Les nouvelles interrogent également. Ces nouvelles empoignent leur lecteur avec des scènes paraissant tout d'abord insignifiantes. Ces bouts de vie, bouts dérisoires, bouts terriblement triviaux ou burlesques, ouvrent un abîme, questionnent sur le sens de la vie, sur ce puits sans fond, ce puits vertigineux.
Les personnages, hantés par les questions obsédantes ou par l'absurdité apparente de leur existence, ont très souvent des relations malsaines avec l'alcool. Tout part, tout fuit, la jeunesse, la beauté, les sentiments. Et pourtant l'espoir n'est jamais tout à fait absent, ne serait-ce que par le regard que porte l'auteur, même si acéré, regard d'une intense humanité. Une fois de plus, c'est par le style que ce livre nous bouscule et nous élève. Un absolu régal .



http://eireann561.canalblog.com/archives/2011/02/16/20382307.html

Du 9 au 12 septembre a eu lieu une série de quatre numéros consacrés à la littérature américaine dans cette excellente émission "Les nouveaux chemins de la connaissance". Voici ci-dessous le lien de celle, passionnante, du mardi 10 centrée sur Raymond Carver.
http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-de-la-litterature-en-amerique-24-raymond-carver-201

mercredi 31 août 2011

La mer de la fertilité

Auteur : Yukio Mishima (1925-1970)

Traduit de l'anglais par Tanguy Kenec'hdu
Editions Gallimard

Le temps presse pour vous présenter les romans afin d'opérer par le vote de chacun de nous le choix des trois retenus pour la rencontre. Aussi, j'utilise des extraits ou des présentations externes.

Quatre en un
La mer de la fertilité, testament littéraire de Mishima, réunit quatre romans qui couvrent l'histoire du Japon de 1912 à 1970, sur quatre générations : "Neige de printemps", "Chevaux échappés", "Le temple de l'aube" et "L'ange en décomposition".

'Et pouvez-vous dire avec certitude que, tous les deux, nous nous sommes déjà rencontrés  ?
- Je suis venu ici il y a soixante ans.
- La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes.
- Mais si, dès le commencement, il n'y avait pas Kiyoaki... "Honda tâtonnait à travers un brouillard. Cet entretien ici, avec l'abbesse, semblait à moitié un rêve. Il parlait à haute voix, comme pour recouvrer le moi qui s'éloignait comme les traces d'une haleine à la surface d'un plateau de laque. 'S' il n'y avait pas Kiyoaki, il n'y a pas eu non plus Isao. Il n'y eut pas Ying Chan, et - qui sait - peut-être n'y a-t-il pas eu moi.' Pour la première fois, il y avait de la force dans les yeux de l'abbesse. 'Cela aussi est tel que dans le coeur de chacun.'
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mer_de_la_fertilit%C3%A9

http://www.plathey.net/livres/japon/mishima.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Yukio_Mishima

Impasse des deux palais / Le Palais du désir / Le Jardin du passé

Auteur : Naguib Mahfouz (1911-2008)
Prix Nobel de littérature en 1988

Traduit de l'arabe par Philippe Vigreux
Editions Le Livre de poche

Je n'ai pas encore lu ces trois volumes et me sert des quatrièmes de couverture pour vous présenter ce trio.
C'est dans les rues du Caire que Naguib Mahfouz, le "Zola du Nil", a promené son miroir et capté toutes les facettes d'une société égyptienne en pleine évolution. Trilogie sur l'Egypte à la fin de la période britannique. L'auteur nous fait vivre dans l'intimité d'une famille bourgeoise musulmane du Caire. Dimension politique : "nationalisme vibrant" plus "réformisme social" Les deux premiers tomes couvrent la période 1920-1935. Le troisième traite de l'effort final de l'Egypte pour se dégager de la tutelle britannique, entre 1936 et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale.

Une belle critique se cache sur le lien suivant :

On trouve une belle présentation de cette trilogie dans le blog suivant. Il faut chercher à Littérature du Maghreb.
http://passiondeslivres.over-blog.com/categorie-221838.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Naguib_Mahfouz

Le siècle des nuages

Auteur : Philippe Forest (18 juin 1962)

Editions Gallimard


Ainsi donc un fils qui n'a jamais posé de questions à son père, son père étant arrivé à la fin de sa vie, étant mort même, écrit un livre à la mémoire de ce père aviateur, un livre relatant ce que fut l'exaltant et ignoble 20e siècle à la lumière de l'aventure aéronavale.
L'auteur tricote patiemment les bribes de souvenirs et des rares confidences paternelles avec les faits tangibles de la grande Histoire pour composer ce livre inclassable. Roman, oui sans doute, mais aussi monument d'amour. Monument d'amour et de piété filiale, oui assurément, mais encore réflexion philosophique sur le temps qui passe et qui efface, sur la mémoire, sur le sens de la vie et de la mort, sur l'impossible vérité des mots et du récit.
Ce livre m'a fait irrésistiblement penser au Thomas Mann de La Montagne magique par cette manière de revenir encore et encore sur le fait et surtout sur l'abîme de réflexions qu'il inspire. Je suis particulièrement sensible à cette écriture du vertige et du creusement en ce qu'elle témoigne du souci d'honnêteté et de profondeur de l'auteur.
Outre Thomas Mann, Le siècle des nuages m'a également fait penser à ce monument d'Amos Oz, Une histoire d'amour et de haine, par ce besoin irrépressible de mettre tout son talent, sa pudeur et son impudeur pour raconter l'épopée de la famille de l'auteur.

Une fois encore -quel plaisir troublant !-, j'ai compris que je lisais le bon livre au bon moment et au bon endroit. Alors que Philippe Forest en était à parler du lieu de vie de son père toujours parti et qu'il avançait l'idée que son père habitait dans les nuages, dans la beauté fulgurante des nuages au coucher du soleil, le soleil se couchait. Du 12e étage de l'immeuble de Berlin situé sur Alexanderplatz dont nous louions un studio pour la semaine, je levai la tête pour supporter la magnifique poésie des mots de l'auteur, souffler un peu, permettre à l'émotion de retrouver son lit. Je vis alors un avion décoller de l'aéroport berlinois puis traverser une ondulation de nuages orange et violine beaux à couper le souffle.

Moi qui suis sensible au style, je me suis pourléché les babines de cette écriture qui m'a semblé ciselée pour exprimer le meilleur. Ce Philippe Forest, c'est l'intelligence et le coeur réunis. Quel bouleversement que ce livre... Plus d'une semaine après l'avoir terminé, j'ai du mal à commencer autre chose.

N'hésitez pas à écouter Philippe Forest (premier lien). J'aime aussi particulièrement le 2e lien malgré l'injonction de son titre.
http://www.dailymotion.com/video/xe2mmu_philippe-forest-le-siecle-des-nuage_news

http://www.dailymotion.com/video/xe1isj_ce-qu-il-faut-lire-le-siecle-des-nu_creation

http://wodka.over-blog.com/article-philippe-forest-le-siecle-des-nuages-56336250.html

http://www.telerama.fr/livres/philippe-forest-le-siecle-des-nuages,59086.php

http://www.franceculture.com/oeuvre-le-siecle-des-nuages-de-philippe-forest.html

http://www.lexpress.fr/culture/livre/extrait-du-siecle-des-nuages-par-philippe-forest_905224.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Forest



mardi 30 août 2011

Le déclin de l'empire Whiting

Auteur : Richard Russo (15 juillet 1949)

Traduit de l'américain par Jean-Luc Piningre
Editions 10/18

Roman-fleuve, ce livre l'est à double titre. Par la définition que nous en fîmes, à savoir une oeuvre d'une longueur certaine portant sur au moins deux générations de personnes ou sur au moins deux âges de la vie d'un des personnages, mais aussi par la situation géographique de la petite ville d'Empire Falls de part et d'autre du fleuve Knox dans l'état du Maine.
Après avoir été florissante, la cité d'Empire Falls décline inexorablement, entrainant dans sa chute -voire dans ses chutes, car il semble que l'auteur affectionne les correspondances et les symboles- l'ensemble de ses habitants.


Il m'a semblé que cette oeuvre était trop ambitieuse. Trop de desseins, trop de pistes. D'où une certaine fragilisation de la structure et une perte d'énergie vitale. Richard Russo brosse d'une part un tableau sociologique de la ville et de son évolution depuis la fermeture des usines. Il s'emploie d'autre part à suivre le parcours personnel d'une multitude de personnages, fouillant le passé et les ressorts psychologiques de chacun, Miles tout d'abord, figure centrale autour de laquelle est bâti le récit, sa fille Tick, son ex future-femme Janine, son frère David, son amour de toujours Charlène, sa mère Grâce, son père Max, l'insupportable et caricaturale Madame Whiting, figure dominante et tyrannique, Cindy, la fille de cette dernière, Charles, son mari, mais encore les copains de Miles, ceux de Tick et certains de leurs parents, les deux prêtres, que sais-je... la liste n'étant pas finie ! Enfin, le livre est également la trop lente découverte de l'histoire d'amour entre Grâce et Charles Mayne.
Cette triple cible aboutit à une oeuvre multicéphale qui s'essouffle dans trois directions concurrentes, paralysant la vigueur du magnifique et très prometteur prologue. Les personnages ne semblent de plus pas pouvoir évoluer, coincés dans un schéma immuable, ce qui ajoute au poids des fréquents flash-back et du tonnage trop conséquent déjà évoqué. Le tonus manquant ne viendra pas de la chute gentiment happy.
Il reste que le livre est un fascinant portrait de l'Amérique profonde des semaines précédant le 11 septembre. Une Amérique cruelle qui exclut et qui tue au hasard.
Immense succès aux Etats-Unis auprès du public comme de la critique, élu Roman de l'année par le magazine Time, ce livre a reçu le prix Pulitzer en 2002.

On trouve des critiques intéressantes sur le site ci-dessous :

vendredi 29 juillet 2011

Belle du Seigneur


Auteur : Albert Cohen (1895-1981)
Prix Nobel de littérature

Editions Gallimard
Je tiens à dire, que si je n’ai pas rampé à reculons pieds et poings liés pour entrer en possession de ce roman, je partais malgré tout avec, disons…une très légère méfiance, oh évidemment, rien de bien méchant, pas plus lourd qu’un nuage de lait dans une tasse de morning tea, mais tout de même, un tantinet de…scepticisme. Voilà, je cherchais le mot ; scepticisme.
Oserai-je le dire ? Je tremble à la pensée d’une armée de fidèles de l’auteur du Livre de ma mère ou de Mangeclous, prête à pointer vers moi un index rageur et accusateur en me taxant d’hérésie. Pourtant, force fut de constater, à la lecture du Livre de ma mère au cours de cette année, que mon premier contact avec Albert Cohen était…navrant. Que dire ? Un excès de lyrisme que je qualifierais de désagréablement baroque, puisque confit dans une sentimentalité élégiaque et monocorde, et un portrait-hommage à la figure maternelle que je jugeai agaçant car trop marqué de condescendance. Oui, appelons un chat un chat ; ma première rencontre avec ce cher écrivain fut un échec, et des plus cuisants.
Néanmoins peu désireuse de rester sur une idée aussi piètre de cet auteur ô combien prisé par ailleurs par les gens de ma classe (voilà où le bât blessa, entre autres ; est-ce que par hasard, je me découvrirais une bêtise et une grossièreté qui m’empêcheraient d’apprécier ce petit bijou à sa juste valeur ? Ô, méandres existentiels !), je décidai donc de m’attaquer à ce super pavé d’allure follement émoustillante qu’est Belle du Seigneur.

Dès les premières pages de Belle du Seigneur, je souris. Le lyrisme époumoné et titanesque que transpirait chaque page du Livre de ma mère m’explose dans les yeux, avec l’introduction du héros, Solal, « beau et non moins noble que son ancêtre Aaron, frère de Moïse (…) soudain riant et le plus fou des fils de l’homme, riant d’insigne jeunesse et amour, soudain arrachant une fleur et la mordant, soudain dansant, haut seigneur aux longues bottes, dansant et riant au soleil aveuglant entre les branches, avec grâce dansant (…) ». Le ton est donné, et roule ma poule.
Avec Belle du Seigneur, c’est un concentré de passion pure (845 pages) que nous livre Albert Cohen. A l’inverse des habituelles intrigues amoureuses que nous offre la littérature contemporaine, où un peu de passion se dilue généreusement dans des litres et des litres de raison, de considérations diverses et de concours de circonstances, nous sommes ici en face d’un curieux objet ; une sublimation paroxysmique de la ferveur amoureuse, une louange sombre à l’incompatibilité de l’aspiration humaine à un Absolu avec le quotidien. Autant de concepts qui, dans nos sociétés plongées dans un coma sentimental permanent, tendent à nous être de plus en plus étrangers. En effet, traversant les pages de ce roman d’un incroyable souffle, Ariane et Solal, les deux amants ô combien beaux, riches et ô combien épris d’Absolu, se cherchent, s’entre-subliment, subliment leurs corps et leur histoire et s’entre-dévorent. Eperdus l’un de l’autre, ils sont d’abord emportés par les tourbillons de l’ivresse amoureuse, qui les grise et les sort de leur monotonie -Ariane s’évade d’un mariage terne et malheureux, Solal goûte à l’amour vrai et s’abandonne à ce bonheur... Les préparatifs pharaoniques qui précèdent dans la belle maison sous les roses la venue de l’amant, sont une immersion dans la folie d’une âme sans réserve possédée par l’amour. Cohen nous offre les délires savoureux d’êtres qui ne respirent plus que par le souffle de l’autre, qui n’existent plus que par le regard de l’autre, jusqu’à un point de démesure parfois grotesque. Pourtant, on ne rit pas de cette démesure ; mais l’on s’accroche anxieusement à cette histoire comme le font les personnages, et l’on s’inquiète de leur devenir. En effet, passés les premiers temps de la découverte insoupçonnée et extraordinaire de la vie et de la passion, les deux amants qui ne soupçonnent encore rien de cette lassitude prochaine, décident de prendre la fuite ensemble. On ne peut que s’attendre à ce qui va suivre ; refusant pour toujours d’être autre chose que des amants sublimes, abhorrant à jamais tout ce qui ne leur semble pas chimiquement pur au sein de leurs rapports, Ariane et Solal, lentement, se brisent l’un contre l’autre. Refusant farouchement le quotidien, s’enfermant dans une bulle d’amour aveugle et se coupant du reste de l’humanité pour pouvoir jouir pleinement l’un de l’autre, ce couple vient bientôt à manquer d’air, à s’asphyxier. Ayant pour aspiration une folie ; celle de ne jamais se contenter de n’être qu’humains, mais dieux l’un pour l’autre et l’un de l’autre toute une vie durant, ils s’embarquent sans le savoir, dès lors qu’ils prennent la décision de fuir ensemble, vers un naufrage lent et certain.

C’est un roman profondément désabusé et amer que nous offre ici l’auteur de Solal, qui tourne et tourne autour du thème de l’amour, qui l’infiltre, le tourne, le retourne, le dissèque, en bat les coutures invisibles et l’analyse avec une impressionnante finesse, remarquablement soutenue par un souffle épique. On retrouve ce pessimisme et cette ironie qui engourdit les pages de son autobiographie, Le livre de ma mère. Est-ce qu'avec Belle du Seigneur, c'est avant tout « une fresque de l’aventure éternelle de l’homme et de la femme » inspirée de sa propre histoire que Cohen veut nous livrer, ou est-ce tout bonnement un autre penchant de son oeuvre autobiographique qu’il développe et romance afin d’en généraliser le sens et d’en faire une épopée de l’amour ? En effet, si certaines descriptions d'Ariane renvoient très explicitement à la description du personnage de Diane dans Le livre de ma mère, on retrouve également des similitudes entre le personnage de Solal et l'auteur, comme son travail à Genève ou la question de son judaïsme, extrêmement développée dans ces deux livres. Quoi qu’il en soit, ce roman reste un objet saisissant, perturbant, corrosif même pour le cœur et l’esprit.

Cela dit, André Gide ne disait-il pas « J’appelle un livre manqué celui qui laisse intact le lecteur » ?

mardi 12 juillet 2011

Tout le cimetière en parle

Auteur : Marie-Ange Guillaume

Editions Le Passage

La couverture, d'une rare laideur, ne m'aurait jamais incitée à rentrer en possession de ce livre. J'ai été conseillée par l'une des libraires de ce cher Gwalarn, qui venait de parcourir cette nouveauté sortie en mars dernier.
La première nouvelle m'a fait beaucoup rire, éclater en petits soubresauts incontrôlables. Tiphaine aussi. Et puis plus rien, rien sinon la lassitude voire l'irritation d'un style unique repris encore et encore, usé jusqu'à la corde. Un style tyrannique qui impose d'écrire comme on parle, et comme on "jacte" de manière très relâchée, en abusant des termes argotiques voire vulgaires. Un style qui s'épuise de lui-même en deux temps trois mouvements.

J'ai laborieusement avalé le recueil en deux soirées, souhaitant m'en débarrasser au plus vite. Sans doute, ce genre d'écriture permet à certains de ne pas avoir peur de la lecture, de ne pas se sentir à l'écart de l'écrit, pan de la culture encore souvent synonyme d'une tenue minimale. De mon côté - je prends ici le risque d'être malicieusement taxée de snobisme par mon beau-frère David-, sans verser dans le classicisme rigoriste, j'ai besoin d'une allure certaine, mélange de ligne et de fantaisie courbue et débridée. Je ne sais malheureusement plus qui disait que la question du style est subversive et révolutionnaire mais j'approuve cette affirmation.

Mettant délibérément la forme de côté, voyons ce qu'il en est du fond. Marie-Ange Guillaume effectue des variations désinvoltes sur le thème de la mort. Thème intéressant s'il en est. Thème essentiel. L'effroi ressenti par l'auteur est contagieux. Ni la vie ni la mort ne semblent avoir de sens. La misanthropie fait rage. Les humains n'arrivent pas à la cheville des animaux et le monde est vu d'un regard triste, engrisaillé, désabusé. Dans cette redoutable moulinette, les visions iconoclastes tournent court exceptées celles du premier texte qui prend la mort à bras-le-corps avec un humour grinçant et rafraîchissant. Celui-ci vaut la peine d'essayer de trouver le recueil en bibliothèque.

http://www.evene.fr/livres/actualite/marie-ange-guillaume-faire-enfants-ailleurs-panama-447.php

Manu Larcenet, auteur fétiche de Tiphaine l'amatrice de BD, a été conquis par ce recueil. Voici ci-dessous son incitation à le lire :
http://www.manularcenet.com/blog/articles/5453/tout-le-cimetiere-en-parle

lundi 11 juillet 2011

La maison aux esprits



Auteur : Isabel Allende (1942, Lima-Nous lui souhaitons une longue vie)


Traducteur : Claude et Carmen Durand

Collection : Littérature & Documents


Ayant eu le plaisir de faire la recension de la trilogie de Pearl Buck, je voudrais y opposer ce livre d’Isabel Allende, « la casa de los espiritus », « la maison aux esprits ». Non pas en terme de plaisir, bien sûr, les deux ouvrages sont couverts d’honneurs et de prix, mais en terme de pouvoir de l’écriture. Car là où la première se servait de l’Histoire pour mettre en lumière la vérité de l’homme, la seconde, quant à elle, se sert des personnages pour faire surgir la vérité de l’Histoire. Sa fiction nous dit tout le vrai de la réalité. Celle du Chili de son oncle Salvador, à travers quatre générations de femmes, de la dynastie des Trueba. Tandis que les événements, déclenchés dans le beau pays de Chine par un auteur un tantinet perverse, servaient de révélateur des penchants humains, chez l’autre, il est prouvé que les comportements adaptés à une époque donnée, deviennent dangereux à d’autres moments. Pearl Buck est un chercheur en sciences humaines, dont le laboratoire est la fiction. Isabel Allende est un prophète moderne. Les personnages de son livre sont châtiés de leur manque de clairvoyance, de leur orgueil, parfois connaissent la rédemption par l’amour. Elle est la chroniqueuse de quatre générations frappées par le destin, rattrapées par leurs fautes, grandeurs et décadences. Elle aime tous ses personnages, parce qu’elle les connaît, elle sait d’où ils viennent et où ils vont, elle aime le Chili. Voici ce qu’elle dit : " La Maison aux esprits a été ma façon d'essayer de sécher les larmes dont j'étais remplie, de donner corps à la douleur pour en faire ma prisonnière. Ce faisant, j'ai attribué à l'écriture le pouvoir de ressusciter les morts, de renouer avec les disparus, de reconstruire un monde perdu."

Christophe



http://mondalire.pagesperso-orange.fr/maisesprits.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Isabel_Allende

http://littexpress.over-blog.net/article-12965006.html

http://livres-et-cin.over-blog.com/article-21933228.html

La terre chinoise



Auteur : Pearl BUCK (1892, Hillsboro-1973, Danby)


Différentes éditions








La profusion d’un roman fleuve, si l’écriture est maîtrisée, autorise à son auteur une grande variété de niveaux de lecture. C’est ce que Pearl Buck réussit à merveille dans cette trilogie de « La terre chinoise ». Il y a d’abord une – on pourrait dire plusieurs – histoire romanesque en diable. Des péripéties à n’en plus finir. Cependant, si d’une certaine façon l’auteur témoigne du réel qu’elle a connu lors de son enfance, elle s’arrête à la vraisemblance. L’Histoire n’est pas son registre. L’époque est vaguement située, le lieu, encore moins. Point rapidement l’étude sociale, l’étude des mœurs de classe, le conflit d’une extrême violence entre pauvres et riches. Mais, à la différence d’écrivains marxistes, Pearl Buck renvoie chacun à sa part de responsabilité, et s’ingénie à battre et rebattre les cartes à l’aide du destin et des éléments naturels. Elle assume son rôle de démiurge. Le roman fleuve s’attache particulièrement à une lignée de personnages, ici des générations aux fortunes diverses, c’est le moins que l’on puisse dire : de mendiant à chef de guerre… Ici aussi l’écriture ne se laisse pas emporter au picaresque, elle cherche plutôt l’archétype dans le personnage. De sorte que chaque personnage est le fragment d’une humanité complète. Alignez devant vos yeux Wang-Lung, ses fils, O-Len et tous les autres, et vous aurez dans une même perspective toutes les facettes de l’humain. Face à l’adversité, les uns prennent le statut de victime, ou celui de bourreau, et tous changent de camp en cours de route. Ainsi, le terreau vaguement XIXème siècle de l’histoire devient un terrain de jeu, un jeu de miroirs que nous tend l’auteur. Un jeu cruel pour l’humanité, bien sûr, de cette cruauté que l’occident prête de bon cœur à la Chine, et qui comporte peut-être une part de vérité –de notre vérité-. En particulier, le passage poreux entre bourreaux et victimes se double d’un glissement des générations : au fil des livres, les enfants deviennent les parents, et l’équilibre moral est démantelé puis reconstitué différemment. Plus l’on s’immerge au fond du texte, plus on s’y rencontre soi-même, ultime personnage principal du récit. Bonne lecture.

http://www.omnibus.tm.fr/la-terre-chinoise-pearl-buck-L9782258077485.html

http://sublimeacide.pagesperso-orange.fr/pages/litt%E9/la%20terre%20chinoise,%20pearl%20buck.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pearl_Buck

vendredi 8 juillet 2011

La danse sacrale

Auteur : Alejo Carpentier (1904, Lausanne-1980, Paris)

Traduction de l'espagnol (Cuba) par René L. F. Durand
Editions Gallimard

Lundi 27 juin 2011, je suis allée voir au cinéma le documentaire Les chemins de la mémoire consacré à la découverte des fosses de la Guerre d'Espagne et l'effort de mémoire que les Espagnols commencent à entreprendre. Deux jours plus tard, je me suis postée devant la bibliothèque de notre "cloître" et ai attendu qu'un livre me fasse signe. C'est ce gros bouquin de Alejo Carpentier qui s'est précipité. Je n'avais aucune idée de son thème, son contenu, son sujet.
Dès les premières pages, par ailleurs d'une incroyable puissance poétique, j'ai été saisie par la parenté avec le film : cheval du tableau Guernica, atroce devise du camp de Buchenwald "A chacun ce qu'il mérite", et Guerre d'Espagne. En voiture, dimanche, de retour d'Alsace, la radio a de nouveau évoqué la Guerre d'Espagne. Bon...

Jorge Luis Borges écrit dans la préface de son recueil Histoire universelle de l'infamie : "Je qualifierai de baroque le style qui épuise délibérément (ou veut épuiser) ses possibilités et frôle sa propre caricature. [...] Baroque (Baroco) est le nom de l'une des versions du syllogisme ; le XVIIIe siècle l'avait appliqué à certains abus de l'architecture et de la peinture du XVIIe ; pour ma part, je dirais qu'est baroque la dernière étape de tout art, lorsque celui-ci exhibe et dilapide ses moyens. le baroque est intellectuel et Bernard Shaw a déclaré que toute production intellectuelle est humoristique. [...]"
Eh bien, il s'agit bien d'un bouquin baroque qui superpose de façon luxuriante l'Histoire, les histoires romanesques, les chroniques artistiques, la puissance poétique, les descriptions des villes de Paris, Bakou, La Havane, New York, Caracas... C'est un livre fou, follement généreux, dont la générosité m'a renversée, submergée. J'ai lu les 785 pages en moins d'une semaine.

Je me suis beaucoup attachée au personnage de Vera, danseuse russe ballottée depuis son enfance par les soubresauts du monde en ce 20e siècle si tourmenté : Insurrection à Bakou sur la Mer Caspienne, révolution  russe à Saint-Pétersbourg, Guerre d'Espagne qui lui fait perdre son amoureux français, fuite de Paris en guerre, révolution cubaine. Vera ne peut mener à bien son rêve artistique. Ses projets de danseuse et de metteur en scène sont constamment anéantis.
Tout le livre fait référence au Sacre du printemps de Stravinski. Sacrifice d'une vierge. Sacrifice de tant de jeunes gens tombés sous les balles dans les conflits. Holocauste des juifs.

C'est grandiose, d'une puissance rare. Quel élan, quel souffle ! L'écriture porte constamment le lecteur. On ne peut se détourner de Vera, d'Enrique. Il n'y a cependant nul romantisme.
On rencontre sans cesse les grands noms de l'art, jusqu'à Dalcroze.
Alejo Carpentier cite également le baron de Nucingen, qui sort pour l'occasion de son grenier balzacien. Je viens justement de relire l'extraordinaire Père Goriot.

Page 371, comment est-il possible que Carpentier soit un aussi puissant visionnaire ? Enrique est à New York :" [...], rues dans lesquelles le passant se sentait prisonnier, opprimé, angoissé, car il avait la sensation que les corniches allaient tomber sur sa tête en un effondrement apocalyptique qui transformerait en abîme des trottoirs envahis par la nuit (nuit provoquée par les constructions elles-mêmes) à trois heures de l'après-midi..."

Sud-américain, Carpentier est inspiré par l'époque et le style baroques. Dans le livre Concert baroque qui se passe à Venise, enjambant les siècles sans mollir, il nous donne la chance de passer quelques heures avec Händel, Scarlatti et Stravinski réunis (!). En 2008, à Venise, j'ai pris un vaporetto pour aller, au petit matin, me recueillir sur la tombe d'Igor, au cimetière San Michele. Quelle émotion.
Ce livre m'a donné l'envie de réécouter, une fois de plus, ce prodigieux Sacre de Stravinski.
Interprétation de Boulez, mercredi soir, pour moi toute seule. Coup de fouet sans cesse renouvelé, étonnement, suffocation.
Un chef-d'oeuvre, ce dernier livre écrit par Carpentier luttant contre un cancer.

http://www.lescheminsdelamemoire.com/

http://www.lescheminsdelamemoire.com/fr/galerie

http://www.youtube.com/watch?v=XrOUYtDpKCc

http://www.lisons.info/Carpentier-Alejo-auteur-174.php

jeudi 7 juillet 2011

Histoire et faux-semblants

Auteur : Didier Daeninckx (1949-)

Editions Gallimard

J'ai lu ce petit recueil de la collection folio à 2 euros juste après avoir quitté le luxueux volume de Leonard Michaels à l'écriture expérimentale, recherchée et flamboyante. Les deux écrivains ne peuvent pas être plus dissemblables. Alors que Michaels est issu des milieux aisés de la société nord-américaine, Didier Daeninckx est un prolétaire né dans le 9-3, à Saint-Denis. L'écriture de ces nouvelles policières m'a rappelé l'âpreté de celle de Chantal Pelletier, la violence et la misère décrits chez Christian Roux (Ah, Braquages ! Editions Gallimard, coll. folio policier).
Comme l'indique la couverture, les vies et les corps sont ici malmenés, brisés par des histoires individuelles inscrites dans une réalité sociale et politique. Voilà encore une des innombrables vertus de la littérature : nous fourrer le nez dans des endroits nauséabonds, nous aider à ne pas oublier les oubliés de nos démocraties libérales. Même en littérature, ce n'est pas si facile.
Alors que je n'ai pas été renversée par le style que j'ai parfois trouvé un peu plat, la lecture de ce livre m'a intéressée. La question des ressemblances physiques entre les personnages ne m'a pas semblé essentielle mais la dernière des quatre histoires m'a passionnée, évoquant le sort des Canaques durant la Première Guerre mondiale. Il s'avère que mes deux voyages en Nouvelle-Calédonie m'ont irrémediablement liée au fameux Caillou...
L'une des nouvelles - Mères glorieuses, mères angoissées...-, en étant située à Paris durant la deuxième Guerre mondiale, établit un lien ambigu avec l'Allemagne. Je profite de cette aubaine un peu artificilelle pour écrire quelques mots du chef-d'oeuvre que j'ai dévoré juste après : L'honneur perdu de Katharina Blum de Heinrich Böll. Quel style, quel engagement ! J'ai constamment été enthousiasmée par la verve vivace, par le courage politique et l'indépendance de cet auteur. J'avais entendu parler de ce livre depuis si longtemps, Heinrich Böll étant très présent dans les cours d'allemand, ma première langue. Ce bouquin m'est tombé dans les mains de la manière la plus inattendue. Viviane (oui, la metteur en scène Viviane Marc), ayant besoin de livres pour l'une des magnifiques scènes du spectacle Chansons folles du 18 juin dernier au Carré Magique (On n'aime guère que la paix) avec la Maîtrise et la Chorale d'enfants, avait récupéré des specimens complètement au bout du rouleau dans une déchetterie. La plupart était d'un niveau littéraire plus que douteaux mais mon oeil fut attiré par celui-là que je n'oubliai pas et qui ne me laissa de repos avant d'en avoir englouti la dernière ligne. Moi qui aime les livres en bon état, j'étais servie ! Mais l'inépuisable énergie du texte m'a constamment fait oublier l'éreintement de ce volume.
Lisez Böll !

Voici un lien très intéressant sur Didier Daeninckx dont j'encourage la lecture :
http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-daeninckx-2.html

Voici également un lien sur Heinrich Böll :
http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Honneur_perdu_de_Katharina_Blum

Je ne résiste pas à l'envie d'indiquer le lien ci-dessous nous permettant, une fois de plus, de constater la divergence incommensurable des goûts en matière littéraire et artistique.
http://www.livres-online.com/L-honneur-perdu-de-Katharina-Blum.html

dimanche 5 juin 2011

Conteurs, menteurs

Auteur : Leonard Michaels (1933-2003)

Editions Christian Bourgois
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy

Il s'agit d'une anthologie des nouvelles que cet auteur a écrites durant toute sa vie (1933-2003), nouvelles qui l'ont rendu célèbre et pour lesquelles le prix de la fondation Guggenheim, le prix de l'American Academy and Institute of Arts and Letters, le Pushcart Prize et le National Endowment for the Arts lui ont été décernés.
Je mets du temps à lire ce gros livre de presque 600 pages. Le temps passé avec ce bel objet à la magnifique couverture est très agréable, passionnant. J'aime emporter ce volume avec moi, même si je suis à peu près sûre de ne pas avoir la possibilité de lire.
Afin de rendre compte des mentalités, des situations, de la recherche, de la désespérance, de la pauvreté intérieure des personnages, de leurs expériences personnelles et sexuelles, l'auteur ne cesse d'inventer sa langue, son rythme, sa manière d'écrire. A la fois déstabilisant et éblouissant.
Je suis tout juste arrivée dans le dernier quart du livre. Après avoir lu la dernière nouvelle intitulée "Raconte-moi tout", j'ai eu l'envie irrépressible de rédiger cet article afin que vous ayez l'envie de vous procurer cet ouvrage.
En lisant les premières nouvelles du livre, j'ai eu l'impression d'être montée malgré moi dans l'attraction d'une foire. Genre Foire du Trône. Complètement désorientée, à la limite de la nausée parfois. D'ailleurs, l'auteur fait régulièrement mention du vomi dans ses premières nouvelles. Comme je suis quasiment autant sensible à l'évocation qu'à l'odeur, j'ai plusieurs fois relevé la tête.

Je suis maintenant dans les nouvelles de la grande maturité et j'ai l'impression de suivre plus facilement. Le style s'est-il un peu assagi ou ai-je gagné en compétence de lectrice ? Le jeu avec l'ordre chronologique des situations est toujours aussi enthousiasmant. Voilà une écriture qui nous fait toucher l'énergie, la qualité de l'air et des tensions entre les personnages. C'est magnifique.
Voilà un livre que m'a conseillé Ani, elle-même conseillée par le libraire d'une grande surface... Comme quoi, il n'y a pas de lieu impropre à l'art et à la littérature.
Isabelle

PS : Je vous recommande la lecture des sites suivants. Eblouie que j'ai maintes fois été à la lecture, j'ai voulu aller à la rencontre de cet ovni.

http://www.liberation.fr/livres/0101622524-leonard-michaels-dans-le-tourbillon-de-sylvia

http://www.mediapart.fr/node/72486/

http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Livres/Comment-te-dire-adieu-_NG_-2010-01-21-571638

http://www.actualitte.com/critiques/conteurs-menteurs-une-anthologie-de-leonard-michaels-787.htm

vendredi 20 mai 2011

Le tueur aveugle

Auteur : Margaret Atwood (18 novembre 1939)

Traduit de l'anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch
Editions 10/18

Margaret Atwood devient une vieille femme et elle en parle très bien dans ce roman, avec un humour très sec, décapant. Son humour, elle l'applique aussi à la peinture par touches de ses personnages. J'ai plusieurs fois éclaté de rire alors que l'ambiance du livre est plutôt dramatique, souvent désespérée. L'intrigue se joue sur trois tableaux, avec des va et vient chronologiques réussis qui dévoilent peu à peu l'histoire des personnages. Ce roman est écrit un peu comme un roman policier, d'une écriture qui m'a tenue, m'a surprise. Je tire mon chapeau à Margaret Atwood pour le niveau de subtilité avec lequel elle arrive à faire passer un certain point de vue... (féministe !!!, mais féministe mûr, féministe ouvert et complexe). C'est un roman long et qui s'étire sur toute une vie : roman-fleuve ?
Ani

Le Tueur aveugle a été couronné par le Booker Prize en 2000. L’arrivée au catalogue 10/18 d’un écrivain canadien au talent immense.

vendredi 29 avril 2011

Les annales de Pétersbourg

Auteur : Fédor Dostoïevski (1821-1881)

Traduit du russe par André Markowicz
Editions Babel

Ce recueil est tout d'abord un cadeau de Catherine et Christophe qui accompagnait les magnifiques nouvelles de Gogol lues (et commentées. Reportez-vous à l'article. Note de l'éditeur) en mars 2009, avec un immense plaisir.
J'ai lu celui-ci en attendant la marchande de fromage de brebis rue Compagnie Roger-Barbé, à deux pas de la maison, durant deux ou trois jeudis, le jeudi étant à Lannion le jour du marché. Et il faut vraiment être loin, très loin de Lannion, pour rater les yaourts et la tomme de la marchande de fromage. Il n'est qu'à voir la queue démente qui se forme devant son étalage exigu pour comprendre et le secret et le problème. Le temps que met la marchande à faire ses fromages leur donne leur goût unique et leur merveilleuse texture. Un délice absolu. Cette marchande met aussi un temps certain à servir ses clients. Tant pis pour les impatients.

Jeudi dernier, j'étais la première. Mais on attend autant en étant la première car la marchande va livrer les coopératives bio du coin et ne revient qu'après. N'attendant jamais sans un bouquin, je lisais les fameuses Annales. Plongée dans le ravissement de l'esprit et du style de Fédor, j'ai été prise plusieurs fois de fous rires. Car Dostoïevski a un humour terrible, une manière de se moquer de tout un chacun, un art de la formule et de la dérision. Je me suis régalée en attendant le régal des petites brebis. C'est en effet en ce moment la grande saison de la brebis.
Ces courts textes sont une commande. Dostoïevski a dû remplacer au pied-levé un écrivain qui devait fournir environ tous les quinze jours des nouvelles de la vie pétersbourgeoise. Dostoïevski donne non seulement des informations locales mais brosse de saisissants portraits des habitants. Il renseigne sur le caractère russe, sur la façon qu'ont les étrangers de considérer les Russes, sur le printemps russe. Oui, sur le printemps car Dosto a écrit pour le journal des 13 et 27 avril, 11 mai, 1er juin et 15 juin. Exactement notre période actuelle ! Ce printemps russe semble d'une incroyable maussaderie, puis d'une incroyable brusquerie et enfin d'une rare brièveté. Les textes de Dostoïevski m'ont aidée à comprendre une partie du caractère et de l'inspiration du Sacre du printemps de Stravinsky.

Dostoïevski a du vif argent dans le stylo. Lui-même écorché vif, il égratigne sans sourciller les uns et les autres. Il se promène, épingle, érafle. Il faut dire que la rue est une constante source d'ébahissement et d'hilarité. Il n'y a qu'à voir les gens qui déambulent au marché du jeudi lannionnais. J'ai parfois l'impression qu'il s'agit d'une mise en scène. Nous sommes tous tellement drôles, si cocasses, si ridicules. Je me vois, ployant sous mes paniers, maladroite, totalement décoiffée, la mine hagarde, un fa# coincé dans les dents, les teintes de mes habits durement fâchées entre elles.
Parfois, sous la plume acérée émerge la plus belle poésie : "Un seul rayon clair et joyeux, comme s'il avait gagné le droit de se rendre chez les gens, s'envole allègrement, pour un instant, hors des ténèbres violettes, se met à jouer allègrement sur les toits des immeubles, brille sur les murs obscurs et humides, se fragmente en mille étincelles dans chaque goutte de pluie, et disparaît, comme vexé de sa propre solitude - il disparaît comme une exaltation inattendue, qui fait irruption par surprise dans la sceptique âme slave, exaltation qui lui fera honte à elle-même tout de suite après et qu'elle ne reconnaîtra plus. Immédiatement, on voit se répandre sur Pétersbourg une pénombre des plus ennuyeuses. Il était une heure de l'après-midi et l'horloge de la ville, semblait-il, elle-même, ne pouvait pas comprendre de quel droit on la forçait à battre une telle heure dans une pareille obscurité."

Merci beaucoup, les amis, de m'avoir permis de relire deux écrivains russes. J'ai toujours eu très peur des Russes, du caractère slave, peur depuis que, adolescente, j'ai dévoré les livres de Henri Troyat, "Semailles et moissons" et surtout "Tant que la Terre durera". Au détour d'une page, on assiste à la mort d'un moujik sous le knout. C'est effroyable.
L'écriture de Dostoïeski m'a remémoré la beauté et l'âpreté et la folie que j'avais touchées du doigt dans ces premiers livres de mon adolescence. Et m'a donné envie d'aller plus avant, d'être un peu audacieuse, de taire mes craintes.

A plusieurs reprises ici, on bute, on hoquète sur ce terme obscène de "youpin". Je me suis aussitôt rappelé les histoires des ancêtres de Amos Oz. Lisez "Une histoire d'amour et de ténèbres". Lisez aussi "Les annales de Pétersbourg".
Isabelle

http://www.lelitteraire.com/article1320.html

Pour équilibrer, voici un autre commentaire, laconique.
http://www.babelio.com/livres/Dostoievski-Les-annales-de-petersbourg/34452/critiques

jeudi 7 avril 2011

Le temps où nous chantions

Auteur : Richard Powers (18 juin 1957)

Traduit de l'américain par Nicolas Richard
Editions10/18. Domaine étranger.

Allez, c'est parti ! Voici ma première contribution à ce blog.

Il s'agit d'un livre offert par ma grande soeur à Noël. J'avais tout d'abord été attirée par la couverture (ma passion pour le cheveu court... allez comprendre) et finalement, j'ai été totalement captivée par la lecture de ce livre.

C'est l'histoire fort singulière d'une famille américaine des années trente aux années 70 en gros. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle famille ! Le père est juif allemand fraîchement émigré d'Allemagne, fuyant le régime nazi, lorsqu'il rencontre sa future femme, noire américaine issue d'une longue lignée d'esclaves. Et ce couple très improbable va se marier et avoir 3 enfants. L'autre particularité est que tous les membres de cette famille ont la musique chevillée au corps, et qu'ils ne vont vivre que par et pour elle.
Tout au long de ces pages, on accompagne le narrateur et les autres personnages dans la recherche de leur identité : noirs ? blancs ? métisses ? américains ? européens ? chanteurs ?... Sans compter que la société se chargera bien vite de leur coller des étiquettes afin qu'ils ne dérangent pas trop.

Ce livre m'a aussi rappelé à quel point la ségrégation raciale aux Etats-Unis d'Amérique a été violente et dure.
Et pour finir, Richard Powers parle merveilleusement bien de la musique, des émotions et des sensations qu'elle procure. Comme le dit la quatrième de couverture : des pages inoubliables sur la musique !
Ce livre m'a transportée, bouleversée, bref, j'ai adoré. Comme le dirait une personne chère à mon coeur : c'est un petit chef d'oeuvre ;)

A lire de toute urgence donc.

Emmanuelle

http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2011/03/24/generosite-de-richard-powers-la-litterature-des-genes-196670

http://www.evene.fr/celebre/biographie/richard-powers-15748.php

http://livres.fluctuat.net/richard-powers.html

http://livres.fluctuat.net/richard-powers/livres/le-temps-ou-nous-chantions/2177-chronique-le-temps-ou-nous-chantions-richard-powers.html

http://passouline.blog.lemonde.fr/2006/11/18/richard-powers-consacre/

dimanche 3 avril 2011

Le régiment part à l'aube

Auteur : Dino Buzzati (1906-1972)

Traduction de Susi et Michel Breitman
Editions Robert Laffont

Dino Buzzati est mort le 28 janvier 1972. Nous habiterions Sannois pour encore trois mois, avant notre déménagement à Saint-Leu la Forêt. C'était un vendredi. J'étais en CE1, à l'école sans doute ce jour-là, peut-être penchée sur un livre de lecture.
Miracle de l'écriture et de la littérature qui me permettent de vivre avec Dino les quelques mois qui précèdent son passage de l'autre côté du rideau. Les nouvelles de ce recueil sont autant d'éblouissantes et bouleversantes variations sur la mort, ou plutôt sur la convocation que donne la mort, convocation à laquelle nul ne peut se soustraire. Quel vertige que cette convocation dont on ne connaît ni le lieu ni la date...
J'ai déniché ce livre dans un bac que mes voisines de la librairie Voyelles disposent parfois sur la rue. Difficile pour moi de résister à l'envie d'y fouiner. Comment ne pas prendre ce hasard pour une première alarme, non, pas une alarme, un rappel plutôt. Un rappel que nous sommes de passage, que la vie est brève et qu'il est urgent de ne pas l'encombrer de futilités et de médiocrité. La tâche est rude, sans cesse à reprendre. La vigilance se nourrit de telles rencontres.
J'ai quasiment lu d'une traite ce livre court et magnifique. Le récit de la recherche de la maman est un sommet inoubliable. J'y pense depuis quelques jours avec une grande émotion. La quatrième de couverture le dit mieux que moi : "Derrière l'apparente retenue, l'impassibilité à la fois inquiétante et ironique de ces récits, l'émotion est tangible. On veut bien croire Buzzati lorqu'il déclare que son "régiment" est prêt à partir. Cet "avis de départ" d'un voyageur immobile ne peut laisser aucun lecteur indifférent. Car là aussi gît l'insondable condition humaine."