“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

vendredi 29 juillet 2011

Belle du Seigneur


Auteur : Albert Cohen (1895-1981)
Prix Nobel de littérature

Editions Gallimard
Je tiens à dire, que si je n’ai pas rampé à reculons pieds et poings liés pour entrer en possession de ce roman, je partais malgré tout avec, disons…une très légère méfiance, oh évidemment, rien de bien méchant, pas plus lourd qu’un nuage de lait dans une tasse de morning tea, mais tout de même, un tantinet de…scepticisme. Voilà, je cherchais le mot ; scepticisme.
Oserai-je le dire ? Je tremble à la pensée d’une armée de fidèles de l’auteur du Livre de ma mère ou de Mangeclous, prête à pointer vers moi un index rageur et accusateur en me taxant d’hérésie. Pourtant, force fut de constater, à la lecture du Livre de ma mère au cours de cette année, que mon premier contact avec Albert Cohen était…navrant. Que dire ? Un excès de lyrisme que je qualifierais de désagréablement baroque, puisque confit dans une sentimentalité élégiaque et monocorde, et un portrait-hommage à la figure maternelle que je jugeai agaçant car trop marqué de condescendance. Oui, appelons un chat un chat ; ma première rencontre avec ce cher écrivain fut un échec, et des plus cuisants.
Néanmoins peu désireuse de rester sur une idée aussi piètre de cet auteur ô combien prisé par ailleurs par les gens de ma classe (voilà où le bât blessa, entre autres ; est-ce que par hasard, je me découvrirais une bêtise et une grossièreté qui m’empêcheraient d’apprécier ce petit bijou à sa juste valeur ? Ô, méandres existentiels !), je décidai donc de m’attaquer à ce super pavé d’allure follement émoustillante qu’est Belle du Seigneur.

Dès les premières pages de Belle du Seigneur, je souris. Le lyrisme époumoné et titanesque que transpirait chaque page du Livre de ma mère m’explose dans les yeux, avec l’introduction du héros, Solal, « beau et non moins noble que son ancêtre Aaron, frère de Moïse (…) soudain riant et le plus fou des fils de l’homme, riant d’insigne jeunesse et amour, soudain arrachant une fleur et la mordant, soudain dansant, haut seigneur aux longues bottes, dansant et riant au soleil aveuglant entre les branches, avec grâce dansant (…) ». Le ton est donné, et roule ma poule.
Avec Belle du Seigneur, c’est un concentré de passion pure (845 pages) que nous livre Albert Cohen. A l’inverse des habituelles intrigues amoureuses que nous offre la littérature contemporaine, où un peu de passion se dilue généreusement dans des litres et des litres de raison, de considérations diverses et de concours de circonstances, nous sommes ici en face d’un curieux objet ; une sublimation paroxysmique de la ferveur amoureuse, une louange sombre à l’incompatibilité de l’aspiration humaine à un Absolu avec le quotidien. Autant de concepts qui, dans nos sociétés plongées dans un coma sentimental permanent, tendent à nous être de plus en plus étrangers. En effet, traversant les pages de ce roman d’un incroyable souffle, Ariane et Solal, les deux amants ô combien beaux, riches et ô combien épris d’Absolu, se cherchent, s’entre-subliment, subliment leurs corps et leur histoire et s’entre-dévorent. Eperdus l’un de l’autre, ils sont d’abord emportés par les tourbillons de l’ivresse amoureuse, qui les grise et les sort de leur monotonie -Ariane s’évade d’un mariage terne et malheureux, Solal goûte à l’amour vrai et s’abandonne à ce bonheur... Les préparatifs pharaoniques qui précèdent dans la belle maison sous les roses la venue de l’amant, sont une immersion dans la folie d’une âme sans réserve possédée par l’amour. Cohen nous offre les délires savoureux d’êtres qui ne respirent plus que par le souffle de l’autre, qui n’existent plus que par le regard de l’autre, jusqu’à un point de démesure parfois grotesque. Pourtant, on ne rit pas de cette démesure ; mais l’on s’accroche anxieusement à cette histoire comme le font les personnages, et l’on s’inquiète de leur devenir. En effet, passés les premiers temps de la découverte insoupçonnée et extraordinaire de la vie et de la passion, les deux amants qui ne soupçonnent encore rien de cette lassitude prochaine, décident de prendre la fuite ensemble. On ne peut que s’attendre à ce qui va suivre ; refusant pour toujours d’être autre chose que des amants sublimes, abhorrant à jamais tout ce qui ne leur semble pas chimiquement pur au sein de leurs rapports, Ariane et Solal, lentement, se brisent l’un contre l’autre. Refusant farouchement le quotidien, s’enfermant dans une bulle d’amour aveugle et se coupant du reste de l’humanité pour pouvoir jouir pleinement l’un de l’autre, ce couple vient bientôt à manquer d’air, à s’asphyxier. Ayant pour aspiration une folie ; celle de ne jamais se contenter de n’être qu’humains, mais dieux l’un pour l’autre et l’un de l’autre toute une vie durant, ils s’embarquent sans le savoir, dès lors qu’ils prennent la décision de fuir ensemble, vers un naufrage lent et certain.

C’est un roman profondément désabusé et amer que nous offre ici l’auteur de Solal, qui tourne et tourne autour du thème de l’amour, qui l’infiltre, le tourne, le retourne, le dissèque, en bat les coutures invisibles et l’analyse avec une impressionnante finesse, remarquablement soutenue par un souffle épique. On retrouve ce pessimisme et cette ironie qui engourdit les pages de son autobiographie, Le livre de ma mère. Est-ce qu'avec Belle du Seigneur, c'est avant tout « une fresque de l’aventure éternelle de l’homme et de la femme » inspirée de sa propre histoire que Cohen veut nous livrer, ou est-ce tout bonnement un autre penchant de son oeuvre autobiographique qu’il développe et romance afin d’en généraliser le sens et d’en faire une épopée de l’amour ? En effet, si certaines descriptions d'Ariane renvoient très explicitement à la description du personnage de Diane dans Le livre de ma mère, on retrouve également des similitudes entre le personnage de Solal et l'auteur, comme son travail à Genève ou la question de son judaïsme, extrêmement développée dans ces deux livres. Quoi qu’il en soit, ce roman reste un objet saisissant, perturbant, corrosif même pour le cœur et l’esprit.

Cela dit, André Gide ne disait-il pas « J’appelle un livre manqué celui qui laisse intact le lecteur » ?

mardi 12 juillet 2011

Tout le cimetière en parle

Auteur : Marie-Ange Guillaume

Editions Le Passage

La couverture, d'une rare laideur, ne m'aurait jamais incitée à rentrer en possession de ce livre. J'ai été conseillée par l'une des libraires de ce cher Gwalarn, qui venait de parcourir cette nouveauté sortie en mars dernier.
La première nouvelle m'a fait beaucoup rire, éclater en petits soubresauts incontrôlables. Tiphaine aussi. Et puis plus rien, rien sinon la lassitude voire l'irritation d'un style unique repris encore et encore, usé jusqu'à la corde. Un style tyrannique qui impose d'écrire comme on parle, et comme on "jacte" de manière très relâchée, en abusant des termes argotiques voire vulgaires. Un style qui s'épuise de lui-même en deux temps trois mouvements.

J'ai laborieusement avalé le recueil en deux soirées, souhaitant m'en débarrasser au plus vite. Sans doute, ce genre d'écriture permet à certains de ne pas avoir peur de la lecture, de ne pas se sentir à l'écart de l'écrit, pan de la culture encore souvent synonyme d'une tenue minimale. De mon côté - je prends ici le risque d'être malicieusement taxée de snobisme par mon beau-frère David-, sans verser dans le classicisme rigoriste, j'ai besoin d'une allure certaine, mélange de ligne et de fantaisie courbue et débridée. Je ne sais malheureusement plus qui disait que la question du style est subversive et révolutionnaire mais j'approuve cette affirmation.

Mettant délibérément la forme de côté, voyons ce qu'il en est du fond. Marie-Ange Guillaume effectue des variations désinvoltes sur le thème de la mort. Thème intéressant s'il en est. Thème essentiel. L'effroi ressenti par l'auteur est contagieux. Ni la vie ni la mort ne semblent avoir de sens. La misanthropie fait rage. Les humains n'arrivent pas à la cheville des animaux et le monde est vu d'un regard triste, engrisaillé, désabusé. Dans cette redoutable moulinette, les visions iconoclastes tournent court exceptées celles du premier texte qui prend la mort à bras-le-corps avec un humour grinçant et rafraîchissant. Celui-ci vaut la peine d'essayer de trouver le recueil en bibliothèque.

http://www.evene.fr/livres/actualite/marie-ange-guillaume-faire-enfants-ailleurs-panama-447.php

Manu Larcenet, auteur fétiche de Tiphaine l'amatrice de BD, a été conquis par ce recueil. Voici ci-dessous son incitation à le lire :
http://www.manularcenet.com/blog/articles/5453/tout-le-cimetiere-en-parle

lundi 11 juillet 2011

La maison aux esprits



Auteur : Isabel Allende (1942, Lima-Nous lui souhaitons une longue vie)


Traducteur : Claude et Carmen Durand

Collection : Littérature & Documents


Ayant eu le plaisir de faire la recension de la trilogie de Pearl Buck, je voudrais y opposer ce livre d’Isabel Allende, « la casa de los espiritus », « la maison aux esprits ». Non pas en terme de plaisir, bien sûr, les deux ouvrages sont couverts d’honneurs et de prix, mais en terme de pouvoir de l’écriture. Car là où la première se servait de l’Histoire pour mettre en lumière la vérité de l’homme, la seconde, quant à elle, se sert des personnages pour faire surgir la vérité de l’Histoire. Sa fiction nous dit tout le vrai de la réalité. Celle du Chili de son oncle Salvador, à travers quatre générations de femmes, de la dynastie des Trueba. Tandis que les événements, déclenchés dans le beau pays de Chine par un auteur un tantinet perverse, servaient de révélateur des penchants humains, chez l’autre, il est prouvé que les comportements adaptés à une époque donnée, deviennent dangereux à d’autres moments. Pearl Buck est un chercheur en sciences humaines, dont le laboratoire est la fiction. Isabel Allende est un prophète moderne. Les personnages de son livre sont châtiés de leur manque de clairvoyance, de leur orgueil, parfois connaissent la rédemption par l’amour. Elle est la chroniqueuse de quatre générations frappées par le destin, rattrapées par leurs fautes, grandeurs et décadences. Elle aime tous ses personnages, parce qu’elle les connaît, elle sait d’où ils viennent et où ils vont, elle aime le Chili. Voici ce qu’elle dit : " La Maison aux esprits a été ma façon d'essayer de sécher les larmes dont j'étais remplie, de donner corps à la douleur pour en faire ma prisonnière. Ce faisant, j'ai attribué à l'écriture le pouvoir de ressusciter les morts, de renouer avec les disparus, de reconstruire un monde perdu."

Christophe



http://mondalire.pagesperso-orange.fr/maisesprits.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Isabel_Allende

http://littexpress.over-blog.net/article-12965006.html

http://livres-et-cin.over-blog.com/article-21933228.html

La terre chinoise



Auteur : Pearl BUCK (1892, Hillsboro-1973, Danby)


Différentes éditions








La profusion d’un roman fleuve, si l’écriture est maîtrisée, autorise à son auteur une grande variété de niveaux de lecture. C’est ce que Pearl Buck réussit à merveille dans cette trilogie de « La terre chinoise ». Il y a d’abord une – on pourrait dire plusieurs – histoire romanesque en diable. Des péripéties à n’en plus finir. Cependant, si d’une certaine façon l’auteur témoigne du réel qu’elle a connu lors de son enfance, elle s’arrête à la vraisemblance. L’Histoire n’est pas son registre. L’époque est vaguement située, le lieu, encore moins. Point rapidement l’étude sociale, l’étude des mœurs de classe, le conflit d’une extrême violence entre pauvres et riches. Mais, à la différence d’écrivains marxistes, Pearl Buck renvoie chacun à sa part de responsabilité, et s’ingénie à battre et rebattre les cartes à l’aide du destin et des éléments naturels. Elle assume son rôle de démiurge. Le roman fleuve s’attache particulièrement à une lignée de personnages, ici des générations aux fortunes diverses, c’est le moins que l’on puisse dire : de mendiant à chef de guerre… Ici aussi l’écriture ne se laisse pas emporter au picaresque, elle cherche plutôt l’archétype dans le personnage. De sorte que chaque personnage est le fragment d’une humanité complète. Alignez devant vos yeux Wang-Lung, ses fils, O-Len et tous les autres, et vous aurez dans une même perspective toutes les facettes de l’humain. Face à l’adversité, les uns prennent le statut de victime, ou celui de bourreau, et tous changent de camp en cours de route. Ainsi, le terreau vaguement XIXème siècle de l’histoire devient un terrain de jeu, un jeu de miroirs que nous tend l’auteur. Un jeu cruel pour l’humanité, bien sûr, de cette cruauté que l’occident prête de bon cœur à la Chine, et qui comporte peut-être une part de vérité –de notre vérité-. En particulier, le passage poreux entre bourreaux et victimes se double d’un glissement des générations : au fil des livres, les enfants deviennent les parents, et l’équilibre moral est démantelé puis reconstitué différemment. Plus l’on s’immerge au fond du texte, plus on s’y rencontre soi-même, ultime personnage principal du récit. Bonne lecture.

http://www.omnibus.tm.fr/la-terre-chinoise-pearl-buck-L9782258077485.html

http://sublimeacide.pagesperso-orange.fr/pages/litt%E9/la%20terre%20chinoise,%20pearl%20buck.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pearl_Buck

vendredi 8 juillet 2011

La danse sacrale

Auteur : Alejo Carpentier (1904, Lausanne-1980, Paris)

Traduction de l'espagnol (Cuba) par René L. F. Durand
Editions Gallimard

Lundi 27 juin 2011, je suis allée voir au cinéma le documentaire Les chemins de la mémoire consacré à la découverte des fosses de la Guerre d'Espagne et l'effort de mémoire que les Espagnols commencent à entreprendre. Deux jours plus tard, je me suis postée devant la bibliothèque de notre "cloître" et ai attendu qu'un livre me fasse signe. C'est ce gros bouquin de Alejo Carpentier qui s'est précipité. Je n'avais aucune idée de son thème, son contenu, son sujet.
Dès les premières pages, par ailleurs d'une incroyable puissance poétique, j'ai été saisie par la parenté avec le film : cheval du tableau Guernica, atroce devise du camp de Buchenwald "A chacun ce qu'il mérite", et Guerre d'Espagne. En voiture, dimanche, de retour d'Alsace, la radio a de nouveau évoqué la Guerre d'Espagne. Bon...

Jorge Luis Borges écrit dans la préface de son recueil Histoire universelle de l'infamie : "Je qualifierai de baroque le style qui épuise délibérément (ou veut épuiser) ses possibilités et frôle sa propre caricature. [...] Baroque (Baroco) est le nom de l'une des versions du syllogisme ; le XVIIIe siècle l'avait appliqué à certains abus de l'architecture et de la peinture du XVIIe ; pour ma part, je dirais qu'est baroque la dernière étape de tout art, lorsque celui-ci exhibe et dilapide ses moyens. le baroque est intellectuel et Bernard Shaw a déclaré que toute production intellectuelle est humoristique. [...]"
Eh bien, il s'agit bien d'un bouquin baroque qui superpose de façon luxuriante l'Histoire, les histoires romanesques, les chroniques artistiques, la puissance poétique, les descriptions des villes de Paris, Bakou, La Havane, New York, Caracas... C'est un livre fou, follement généreux, dont la générosité m'a renversée, submergée. J'ai lu les 785 pages en moins d'une semaine.

Je me suis beaucoup attachée au personnage de Vera, danseuse russe ballottée depuis son enfance par les soubresauts du monde en ce 20e siècle si tourmenté : Insurrection à Bakou sur la Mer Caspienne, révolution  russe à Saint-Pétersbourg, Guerre d'Espagne qui lui fait perdre son amoureux français, fuite de Paris en guerre, révolution cubaine. Vera ne peut mener à bien son rêve artistique. Ses projets de danseuse et de metteur en scène sont constamment anéantis.
Tout le livre fait référence au Sacre du printemps de Stravinski. Sacrifice d'une vierge. Sacrifice de tant de jeunes gens tombés sous les balles dans les conflits. Holocauste des juifs.

C'est grandiose, d'une puissance rare. Quel élan, quel souffle ! L'écriture porte constamment le lecteur. On ne peut se détourner de Vera, d'Enrique. Il n'y a cependant nul romantisme.
On rencontre sans cesse les grands noms de l'art, jusqu'à Dalcroze.
Alejo Carpentier cite également le baron de Nucingen, qui sort pour l'occasion de son grenier balzacien. Je viens justement de relire l'extraordinaire Père Goriot.

Page 371, comment est-il possible que Carpentier soit un aussi puissant visionnaire ? Enrique est à New York :" [...], rues dans lesquelles le passant se sentait prisonnier, opprimé, angoissé, car il avait la sensation que les corniches allaient tomber sur sa tête en un effondrement apocalyptique qui transformerait en abîme des trottoirs envahis par la nuit (nuit provoquée par les constructions elles-mêmes) à trois heures de l'après-midi..."

Sud-américain, Carpentier est inspiré par l'époque et le style baroques. Dans le livre Concert baroque qui se passe à Venise, enjambant les siècles sans mollir, il nous donne la chance de passer quelques heures avec Händel, Scarlatti et Stravinski réunis (!). En 2008, à Venise, j'ai pris un vaporetto pour aller, au petit matin, me recueillir sur la tombe d'Igor, au cimetière San Michele. Quelle émotion.
Ce livre m'a donné l'envie de réécouter, une fois de plus, ce prodigieux Sacre de Stravinski.
Interprétation de Boulez, mercredi soir, pour moi toute seule. Coup de fouet sans cesse renouvelé, étonnement, suffocation.
Un chef-d'oeuvre, ce dernier livre écrit par Carpentier luttant contre un cancer.

http://www.lescheminsdelamemoire.com/

http://www.lescheminsdelamemoire.com/fr/galerie

http://www.youtube.com/watch?v=XrOUYtDpKCc

http://www.lisons.info/Carpentier-Alejo-auteur-174.php

jeudi 7 juillet 2011

Histoire et faux-semblants

Auteur : Didier Daeninckx (1949-)

Editions Gallimard

J'ai lu ce petit recueil de la collection folio à 2 euros juste après avoir quitté le luxueux volume de Leonard Michaels à l'écriture expérimentale, recherchée et flamboyante. Les deux écrivains ne peuvent pas être plus dissemblables. Alors que Michaels est issu des milieux aisés de la société nord-américaine, Didier Daeninckx est un prolétaire né dans le 9-3, à Saint-Denis. L'écriture de ces nouvelles policières m'a rappelé l'âpreté de celle de Chantal Pelletier, la violence et la misère décrits chez Christian Roux (Ah, Braquages ! Editions Gallimard, coll. folio policier).
Comme l'indique la couverture, les vies et les corps sont ici malmenés, brisés par des histoires individuelles inscrites dans une réalité sociale et politique. Voilà encore une des innombrables vertus de la littérature : nous fourrer le nez dans des endroits nauséabonds, nous aider à ne pas oublier les oubliés de nos démocraties libérales. Même en littérature, ce n'est pas si facile.
Alors que je n'ai pas été renversée par le style que j'ai parfois trouvé un peu plat, la lecture de ce livre m'a intéressée. La question des ressemblances physiques entre les personnages ne m'a pas semblé essentielle mais la dernière des quatre histoires m'a passionnée, évoquant le sort des Canaques durant la Première Guerre mondiale. Il s'avère que mes deux voyages en Nouvelle-Calédonie m'ont irrémediablement liée au fameux Caillou...
L'une des nouvelles - Mères glorieuses, mères angoissées...-, en étant située à Paris durant la deuxième Guerre mondiale, établit un lien ambigu avec l'Allemagne. Je profite de cette aubaine un peu artificilelle pour écrire quelques mots du chef-d'oeuvre que j'ai dévoré juste après : L'honneur perdu de Katharina Blum de Heinrich Böll. Quel style, quel engagement ! J'ai constamment été enthousiasmée par la verve vivace, par le courage politique et l'indépendance de cet auteur. J'avais entendu parler de ce livre depuis si longtemps, Heinrich Böll étant très présent dans les cours d'allemand, ma première langue. Ce bouquin m'est tombé dans les mains de la manière la plus inattendue. Viviane (oui, la metteur en scène Viviane Marc), ayant besoin de livres pour l'une des magnifiques scènes du spectacle Chansons folles du 18 juin dernier au Carré Magique (On n'aime guère que la paix) avec la Maîtrise et la Chorale d'enfants, avait récupéré des specimens complètement au bout du rouleau dans une déchetterie. La plupart était d'un niveau littéraire plus que douteaux mais mon oeil fut attiré par celui-là que je n'oubliai pas et qui ne me laissa de repos avant d'en avoir englouti la dernière ligne. Moi qui aime les livres en bon état, j'étais servie ! Mais l'inépuisable énergie du texte m'a constamment fait oublier l'éreintement de ce volume.
Lisez Böll !

Voici un lien très intéressant sur Didier Daeninckx dont j'encourage la lecture :
http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-daeninckx-2.html

Voici également un lien sur Heinrich Böll :
http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Honneur_perdu_de_Katharina_Blum

Je ne résiste pas à l'envie d'indiquer le lien ci-dessous nous permettant, une fois de plus, de constater la divergence incommensurable des goûts en matière littéraire et artistique.
http://www.livres-online.com/L-honneur-perdu-de-Katharina-Blum.html