“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

mercredi 31 août 2011

La mer de la fertilité

Auteur : Yukio Mishima (1925-1970)

Traduit de l'anglais par Tanguy Kenec'hdu
Editions Gallimard

Le temps presse pour vous présenter les romans afin d'opérer par le vote de chacun de nous le choix des trois retenus pour la rencontre. Aussi, j'utilise des extraits ou des présentations externes.

Quatre en un
La mer de la fertilité, testament littéraire de Mishima, réunit quatre romans qui couvrent l'histoire du Japon de 1912 à 1970, sur quatre générations : "Neige de printemps", "Chevaux échappés", "Le temple de l'aube" et "L'ange en décomposition".

'Et pouvez-vous dire avec certitude que, tous les deux, nous nous sommes déjà rencontrés  ?
- Je suis venu ici il y a soixante ans.
- La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes.
- Mais si, dès le commencement, il n'y avait pas Kiyoaki... "Honda tâtonnait à travers un brouillard. Cet entretien ici, avec l'abbesse, semblait à moitié un rêve. Il parlait à haute voix, comme pour recouvrer le moi qui s'éloignait comme les traces d'une haleine à la surface d'un plateau de laque. 'S' il n'y avait pas Kiyoaki, il n'y a pas eu non plus Isao. Il n'y eut pas Ying Chan, et - qui sait - peut-être n'y a-t-il pas eu moi.' Pour la première fois, il y avait de la force dans les yeux de l'abbesse. 'Cela aussi est tel que dans le coeur de chacun.'
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mer_de_la_fertilit%C3%A9

http://www.plathey.net/livres/japon/mishima.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Yukio_Mishima

Impasse des deux palais / Le Palais du désir / Le Jardin du passé

Auteur : Naguib Mahfouz (1911-2008)
Prix Nobel de littérature en 1988

Traduit de l'arabe par Philippe Vigreux
Editions Le Livre de poche

Je n'ai pas encore lu ces trois volumes et me sert des quatrièmes de couverture pour vous présenter ce trio.
C'est dans les rues du Caire que Naguib Mahfouz, le "Zola du Nil", a promené son miroir et capté toutes les facettes d'une société égyptienne en pleine évolution. Trilogie sur l'Egypte à la fin de la période britannique. L'auteur nous fait vivre dans l'intimité d'une famille bourgeoise musulmane du Caire. Dimension politique : "nationalisme vibrant" plus "réformisme social" Les deux premiers tomes couvrent la période 1920-1935. Le troisième traite de l'effort final de l'Egypte pour se dégager de la tutelle britannique, entre 1936 et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale.

Une belle critique se cache sur le lien suivant :

On trouve une belle présentation de cette trilogie dans le blog suivant. Il faut chercher à Littérature du Maghreb.
http://passiondeslivres.over-blog.com/categorie-221838.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Naguib_Mahfouz

Le siècle des nuages

Auteur : Philippe Forest (18 juin 1962)

Editions Gallimard


Ainsi donc un fils qui n'a jamais posé de questions à son père, son père étant arrivé à la fin de sa vie, étant mort même, écrit un livre à la mémoire de ce père aviateur, un livre relatant ce que fut l'exaltant et ignoble 20e siècle à la lumière de l'aventure aéronavale.
L'auteur tricote patiemment les bribes de souvenirs et des rares confidences paternelles avec les faits tangibles de la grande Histoire pour composer ce livre inclassable. Roman, oui sans doute, mais aussi monument d'amour. Monument d'amour et de piété filiale, oui assurément, mais encore réflexion philosophique sur le temps qui passe et qui efface, sur la mémoire, sur le sens de la vie et de la mort, sur l'impossible vérité des mots et du récit.
Ce livre m'a fait irrésistiblement penser au Thomas Mann de La Montagne magique par cette manière de revenir encore et encore sur le fait et surtout sur l'abîme de réflexions qu'il inspire. Je suis particulièrement sensible à cette écriture du vertige et du creusement en ce qu'elle témoigne du souci d'honnêteté et de profondeur de l'auteur.
Outre Thomas Mann, Le siècle des nuages m'a également fait penser à ce monument d'Amos Oz, Une histoire d'amour et de haine, par ce besoin irrépressible de mettre tout son talent, sa pudeur et son impudeur pour raconter l'épopée de la famille de l'auteur.

Une fois encore -quel plaisir troublant !-, j'ai compris que je lisais le bon livre au bon moment et au bon endroit. Alors que Philippe Forest en était à parler du lieu de vie de son père toujours parti et qu'il avançait l'idée que son père habitait dans les nuages, dans la beauté fulgurante des nuages au coucher du soleil, le soleil se couchait. Du 12e étage de l'immeuble de Berlin situé sur Alexanderplatz dont nous louions un studio pour la semaine, je levai la tête pour supporter la magnifique poésie des mots de l'auteur, souffler un peu, permettre à l'émotion de retrouver son lit. Je vis alors un avion décoller de l'aéroport berlinois puis traverser une ondulation de nuages orange et violine beaux à couper le souffle.

Moi qui suis sensible au style, je me suis pourléché les babines de cette écriture qui m'a semblé ciselée pour exprimer le meilleur. Ce Philippe Forest, c'est l'intelligence et le coeur réunis. Quel bouleversement que ce livre... Plus d'une semaine après l'avoir terminé, j'ai du mal à commencer autre chose.

N'hésitez pas à écouter Philippe Forest (premier lien). J'aime aussi particulièrement le 2e lien malgré l'injonction de son titre.
http://www.dailymotion.com/video/xe2mmu_philippe-forest-le-siecle-des-nuage_news

http://www.dailymotion.com/video/xe1isj_ce-qu-il-faut-lire-le-siecle-des-nu_creation

http://wodka.over-blog.com/article-philippe-forest-le-siecle-des-nuages-56336250.html

http://www.telerama.fr/livres/philippe-forest-le-siecle-des-nuages,59086.php

http://www.franceculture.com/oeuvre-le-siecle-des-nuages-de-philippe-forest.html

http://www.lexpress.fr/culture/livre/extrait-du-siecle-des-nuages-par-philippe-forest_905224.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Forest



mardi 30 août 2011

Le déclin de l'empire Whiting

Auteur : Richard Russo (15 juillet 1949)

Traduit de l'américain par Jean-Luc Piningre
Editions 10/18

Roman-fleuve, ce livre l'est à double titre. Par la définition que nous en fîmes, à savoir une oeuvre d'une longueur certaine portant sur au moins deux générations de personnes ou sur au moins deux âges de la vie d'un des personnages, mais aussi par la situation géographique de la petite ville d'Empire Falls de part et d'autre du fleuve Knox dans l'état du Maine.
Après avoir été florissante, la cité d'Empire Falls décline inexorablement, entrainant dans sa chute -voire dans ses chutes, car il semble que l'auteur affectionne les correspondances et les symboles- l'ensemble de ses habitants.


Il m'a semblé que cette oeuvre était trop ambitieuse. Trop de desseins, trop de pistes. D'où une certaine fragilisation de la structure et une perte d'énergie vitale. Richard Russo brosse d'une part un tableau sociologique de la ville et de son évolution depuis la fermeture des usines. Il s'emploie d'autre part à suivre le parcours personnel d'une multitude de personnages, fouillant le passé et les ressorts psychologiques de chacun, Miles tout d'abord, figure centrale autour de laquelle est bâti le récit, sa fille Tick, son ex future-femme Janine, son frère David, son amour de toujours Charlène, sa mère Grâce, son père Max, l'insupportable et caricaturale Madame Whiting, figure dominante et tyrannique, Cindy, la fille de cette dernière, Charles, son mari, mais encore les copains de Miles, ceux de Tick et certains de leurs parents, les deux prêtres, que sais-je... la liste n'étant pas finie ! Enfin, le livre est également la trop lente découverte de l'histoire d'amour entre Grâce et Charles Mayne.
Cette triple cible aboutit à une oeuvre multicéphale qui s'essouffle dans trois directions concurrentes, paralysant la vigueur du magnifique et très prometteur prologue. Les personnages ne semblent de plus pas pouvoir évoluer, coincés dans un schéma immuable, ce qui ajoute au poids des fréquents flash-back et du tonnage trop conséquent déjà évoqué. Le tonus manquant ne viendra pas de la chute gentiment happy.
Il reste que le livre est un fascinant portrait de l'Amérique profonde des semaines précédant le 11 septembre. Une Amérique cruelle qui exclut et qui tue au hasard.
Immense succès aux Etats-Unis auprès du public comme de la critique, élu Roman de l'année par le magazine Time, ce livre a reçu le prix Pulitzer en 2002.

On trouve des critiques intéressantes sur le site ci-dessous :