“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

dimanche 5 août 2012

Sept histoires qui reviennent de loin

Auteur : Jean-Christophe Rufin (1952-)

Editions Gallimard.


Comment interpréter le double sens du titre ? Facile, me direz-vous, ces histoires viennent de contrées lointaines. Ont-elles d'autre part failli ne jamais être publiées ? De mon côté, je n'en aurais sauvé que deux, situées au milieu du recueil. Celle qui revient d'où l'on ne revient pas, la mort. Et celle qui revient d'Afrique et du passé. Contrairement aux autres, ces deux nouvelles ne m'ont pas paru artificielles, surfaites, pesantes, anecdotiques, voire mal écrites.
Jean-Christophe Rufin est médecin. La nouvelle de l'interne qui doit aller constater la mort d'un quidam est troublante d'authenticité et son écriture sonne tellement juste. J'ai cru passer une nuit face à ce mystère de la mort d'un inconnu, pauvre hère échoué là, dans l'anonymat d'un hôpital parisien. La suivante m'a touchée par la simplicité du récit d'un homme tentant de retrouver son premier amour. Un homme qui fut orgueilleux, inconscient, léger. Un homme qui nous ressemble tant.
Mais dans les autres, j'ai déploré une écriture éloignée des sujets, pas assez travaillée, et même qui m'a semblé un peu dédaigneuse. J'en ai conçu une sorte d'irritation envers son auteur. Serait-il dans ce recueil un monsieur arrivé, un monsieur auréolé du prix Goncourt et glorifié ou figé par l'Académie française ? Ma libraire qui a lu le dernier livre de Rufin consacré à Jacques Coeur m'a persuadée du contraire.
Quoi qu'il en soit, il reste que cinq de ces nouvelles manquent de la nécessité vitale de l'écriture.

Dans le genre si différent du polar, j'ai aimé le voyage, j'ai aimé la puissance évocatrice de Jean-Bernard Pouy sur Dieppe et le Cotentin dans son livre La petite écuyère a cafté. Ce livre m'a emmenée bien plus loin que les nouvelles de Rufin et il m'en est resté beaucoup plus d'impressions, d'images indélébiles et de plaisir du dépaysement. L'ailleurs et l'étrange sont décidément tout près.

http://www.evene.fr/celebre/biographie/jean-christophe-ruffin-926163.php

http://www.lefigaro.fr/livres/2011/05/05/03005-20110505ARTFIG00584-jean-christophe-rufin-histoires-de-failles.php

http://www.polarnoir.fr/livre.php?livre=liv440



dimanche 1 juillet 2012

Le drapeau anglais

Auteur : Imre Kertész (1929-2016)

Traduction du hongrois par Charles Zaremba et Natalia Zaremba-Huzsvai
Éditions Actes-Sud

Sachant qu'Imre Kertész a vécu l'expérience indicible des camps de concentration, j'ai eu du mal à trouver le courage d'ouvrir ce livre. Souvenir inoubliable du film Nuit et brouillard d'Alain Resnais vu -enfin, vu, non, pas vu, pas vu du tout, tout au plus à peine aperçu dans son début- à 14 ans, un après-midi d'hiver. Les images, le son sont restés bloqués sur ma rétine et dans mon oreille, les ont brûlées, lacérées, ont ravagé mon estomac, haché mon coeur, saccagé ma naïveté et m'ont définitivement rendue orpheline de mon enfance. A l'initiative de mon extraordinaire professeur de français Marie-Françoise Vaçulik, cette projection a ouvert la longue période d'un désespoir toujours tapi et l'interminable règne de la peur. Impossible compréhension, la raison rendue inopérante et ridicule.
Ce recueil offre trois courts textes, tous trois reflets d'un épisode de la vie de l'auteur. Le drapeau anglais qui flotte dans une voiture s'enfuyant avant l'arrivée des chars soviétiques en 1956, le retour sur les lieux du camp, le projet d'aller en Autriche après la chute du Mur et l'ouverture des frontières. Imre Kertész adapte son style à l'expérience vécue. Je suis restée sans voix devant une telle adéquation du fond et de la forme. Je suis restée comme une statue de sel, murée dans mon émotion en lisant le troisième texte, "Procès verbal" quand bien même Kertésez refuse l'émotion. Une fois de plus, l'intelligence de l'auteur sauve le lecteur de la ruine, de la capitulation de l'esprit. Par la création littéraire, l'esprit triomphe. Par le partage, l'esprit fait reculer la bêtise et la barbarie.
Imre Kertész a reçu le prix Nobel de littérature en 2002. Merci le Nobel, merci le Nobel, merci le Nobel.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Imre_Kert%C3%A9sz

http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/projets/temoignage/kertesz

http://www.juanasensio.com/archive/2005/07/18/primo-levi-et-imre-kertesz-ou-le-drame-de-la-formulation.html

http://www.maghress.com/fr/lematin/51526

http://mondalire.pagesperso-orange.fr/kertesz.htm

http://www.lexpress.fr/culture/livre/entretien-avec-imre-kertesz_809986.html

mardi 5 juin 2012

Trilogie new-yorkaise

Auteur : Paul Auster (1947-)

Cité de verre - Revenants - La chambre dérobée
Traduction de l'américain par Pierre Furlan
Éditions Actes Sud. Collection Babel.

Quel plaisir, quelle chance, quel luxe de lire cette trilogie à New York ! A chaque voyage, je tente de conjuguer les délices de la lecture et de la déambulation sur les lieux du livre emporté tout expressément. Dans celui-ci, ce fut tout particulièrement le cas puisque les personnages principaux se cherchent, suivent d'autres personnes, les traquent et ne cessent d'arpenter la géométrie, les abscisses et ordonnées labyrintiques de la ville avec acharnement, dans une obsession mortifère. Non seulement la traque mais encore le changement d'identité les amènent à se perdre, à s'évanouir dans le néant.
Cet ouvrage est une éblouissante et passionnante spirale. Qui est qui ? Qui sommes-nous ? Comment avoir la moindre idée de notre identité ? Quelle est notre essence ?
Tout se croise, se conjugue, se travestit de façon pernicieuse jusqu'au vertige. Chacun des trois romans (courts romans ou nouvelles conséquentes ?) est un jeu de miroirs dans lequel les personnages de fiction mais aussi les personnages historiques comme Walt Whitman se renvoient la balle, ricochent les uns sur les autres. Même l'auteur utilise son nom pour brouiller les pistes. Ce qui semble être une enquête voire un thriller mène à une profonde réflexion philosophique sur le langage et l'identité. Et rien de tout cela n'est ni pesant ni froid. Paul Auster -oui, l'auteur, le vrai - est assez magicien et sorcier pour provoquer notre attachement aux personnages qui bientôt se fourvoient, nous faire sentir avant eux leurs errements, nous faire trembler pour leur survie, leur dignité, leur intégrité. Et ces personnages peuvent tomber encore plus bas que ce que nous avions redouté. Le frisson est là, la jubilation littéraire et intellectuelle aussi. Brillant, brillant, brillant !









jeudi 31 mai 2012

La terre des Mensonges / La ferme des Neshov / L'héritage impossible

Auteur : Anne Birkefeld Ragde (1957-)

Traduit du norévégien par Jean Renaud
Editions 10/18


Cette année, j'ai choisi pour l'Ensemble vocal un répertoire exclusivement consacré à la Norvège. Initialement baptisé Une balade en raquettes, le concert donné en partenariat avec le choeur Résonance de Rennes le 1er avril dernier et les 9-10 juin est en fait devenu Ballade scandinave. Outre de très jolies courtes pièces dont les extraordinaires psaumes de Edvard Grieg, nous chantons le Stabat Mater de Knut Nystedt, né en 1915 et encore vivant. Écrite pour choeur mixte et violoncelle solo, Cette oeuvre recèle une grande intériorité et une force inouïe. En lutte incessante, désespoir, doute, souffrance, douceur, suavité, espoir et apaisement s'imposent à tour de rôle et imposent un rythme et une intensité de thriller. D'une écriture exigeante, tant pour les interprètes que pour les auditeurs, cette pièce touche ce qui en nous est en questionnement, ce qui est rongé par le doute et la douleur. Elle nous atteint donc au plus profond.
C'est l'exigence et la densité de Nystedt qui m'ont manqué dans la trilogie norvégienne de Anne B. Ragde. Les trois premiers chapitres emportent l'adhésion par leur énergie voire leur radicalité. Puis le style fait d'importantes concessions, cédant trop fréquemment au procédé du dialogue. Autant il est appréciable de baigner dans la matérialité des personnages, d'en être proche au point d'être parfois incommodé par leurs odeurs corporelles, autant cette importance quasi exclusive du contexte matériel empêche parfois de donner de l'épaisseur et du poids aux personnages et nuit à la profondeur de l'ensemble.
Voici un texte qui compte sur l'action, la toute-puissance de l'action. Le projet littéraire en est, il me semble, profondément amoindri.
Il reste cependant que je n'ai eu de cesse d'aller au bout du 3e tome, que je n'ai pas eu de mal à avancer dans ma lecture, à part dans la deuxième moitié du premier tome où une vraie lassitude s'est installée durant quelques dizaines de pages. Autre point intéressant, ce roman nous tient au plus près d'Erlend, homosexuel aussi attachant qu'horripilant. De même que Krumme, Lizzi ou Jytte, Erlend est un personnage essentiel qui laisse son empreinte profonde et à qui je souhaite le plus profond bonheur familial.
Enfin, Anne B. Ragde installe le lecteur dans le désir des frères Neshov. Comme chacun d'eux, le lecteur se prend à souhaiter que Torunn se charge de la ferme et réponde aux avances du beau soupirant. Dans le troisième tome, tout le monde se retrouve à la ferme pour un repas de fête, de retrouvailles, de point d'orgue. Je ne dirai rien de plus.

Sur la Norvège, vous pouvez également lire le recueil de nouvelles de l'auteur nobellisé Knut Hamsun, Esclaves de l'amour, recueil qui a fait l'objet d'un commentaire sur ce blog.
Vous pouvez aussi venir aux concerts du week-end prochain : 20h30 à la chapelle Sainte-Anne à Lannion le samedi 9 juin et 17h à l'église Saint-Florent de Plufur le dimanche 10 juin.

Les commentaires du site ci-dessous sont beaucoup plus enthousiastes que les miens.
http://www.babelio.com/livres/Ragde-La-Ferme-des-Neshov/158236

Je ne suis pas souvent d'accord avec ce qui est indiqué dans ce deuxième site.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/l-heritage-impossible_905759.html

Voici un site recelant un certain nombre de romans norvégiens mais également de beaucoup d'autres pays. Malheureusement, l'auteur du blog donne plus un résumé du livre que son avis.
http://leslectures-d-anna.blogspot.fr/2010/12/la-trilogie-des-neshov-anne-b-ragde.html

samedi 28 avril 2012

Natacha et autres nouvelles

Auteur : Vladimir Nabokov (1899-1977)

Traduit du russe par Bernard Kreise
Editeur : Gallimard. Collection Folio

De Nabokov, je ne connaissais que l'anecdote relative à l'émission que Bernard Pivot lui avait consacrée. A l'occasion de la venue de ce grand écrivain russe, événement dans l'histoire de la célèbre émission littéraire Apostrophes, Bernard P. avait dérogé à deux de ses règles d'or :
- ne pas communiquer à l'avance les questions à l'invité,
- ne pas lui servir d'alcool.
La théière dont Pivot déverse à intervalles régliers le contenu dans une tasse anglaise est remplie... de vodka.
Cette histoire édifiante m'a permis de dépasser la crainte d'origine inconnue qui me saisit immanquablement devant la littérature russe et surtout ses auteurs.

Cinq nouvelles. Quatre bijoux absolus. Dans la première qui donne son titre au recueil, on découvre l'art multiple de Nabokov. La découverte de l'émoi amoureux de Natacha fait l'objet d'une grande richesse de langage mais aussi de beaucoup de pudeur. C'est également l'histoire infiniment triste d'un vieil homme qui meurt, écrasé par la peine et la pauvreté dans un non-lieu. La peine est celle de l'exil. Alors qu'elle a pris le plus grand soin de son père durant des jours, des semaines et des mois, Natacha n'est pas présente à ses côtés lors de son passage de vie à trépas, toute chamboulée qu'elle est par la présence et l'invitation de Wolf. Cette nouvelle est encore le Petit chaperon rouge revisité. Nabokov nous mettant sur la piste en baptisant ainsi son personnage, Wolf est évidemment le loup. Sur la couverture du livre, le "rouge" est passé du chaperon aux lèvres entêtantes. Le loup vient rendre visite au vieux père à l'agonie mais il n'a qu'une idée en tête, déguster la fraîche Natacha. Wolf est-il amoureux ? Est-il sincère ? Ce n'est sûrement pas Nabokov qui règle cette question, bien au contraire. Et cette question ne cesse de tarauder le lecteur. Chaque phrase recèle une ambiguïté aussi extraordinaire qu'inquiétante. On est constamment sur le fil. Délicieux et fascinant.

La seconde nouvelle est le récit d'un rêve. Atmosphère irréelle et paradisiaque. L'écriture de Nabokov est si puissante sur le plan visuel que j'ai l'impression d'avoir vu un court métrage plutôt que d'avoir lu une nouvelle. Un court métrage dans un cinéma muni d'effets ultra modernes de caresses de l'ange sur ma joue, de souffle sur mon visage, d'éblouissement sensible du corps entier. Une féerie de langage.

Bruits, la troisième, m'a encore une fois emportée au loin. Comment autant de sensations, autant d'émotions peuvent être contenues dans un texte si concis ? Même les silences, même l'absence de mots sont puissants.

Je n'ai pas aimé la nouvelle suivante, Vengeance, la trouvant tout d'abord sans intérêt. En y repensant, il me semble que je suis peut-être repoussée par la cruauté du mari, sa brutalité. Voilà bien ce que je redoute chez les écrivains russes : une puissance poétique sublime, une aristocratie de la sensibilité puis, d'un coup, la fange, la violence vile.

Ce recueil se termine heureusement par Bonté. A nouveau, l'amour pour une femme permet d'accéder à l'amour de la vie.

Aucune préciosité malgré la luxuriance de la langue. Rien n'est vain. Tout est signifiant, expressif, indispensable.
Voilà 2 tout petits euros pour une infinie richesse !


http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB75050355/vladimir-nabokov.fr.html

http://www.babelio.com/livres/Nabokov-Natacha/335721

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Nabokov

http://www.telerama.fr/livre/nabokov-l-ecriture-comme-experience,54889.php

http://www.babelio.com/apostrophes.php?search=3046

http://www.slate.fr/story/15405/bernard-pivot-raconte-apostrophe

mercredi 21 mars 2012

L'art français de la guerre



Auteur : Alexis Jenni (1963-)

Editions : Gallimard








Il ne manquait plus que ça ! Un Goncourt, quintessence commerciale du prix littéraire dans notre chère liste de grandes œuvres ! Commercial, ce prix, oui évidemment, car il fait toujours beaucoup vendre et il est rare que de petits éditeur y accèdent. Néanmoins, la sélection n’est pas pour autant faite par des représentants de commerce et de grands écrivains, désormais au panthéon des belles lettres, en ont été récompensés et ne l’ont pas refusé.

Voilà. Passée cette petite justification de la récompense, on pourrait dire dans le même esprit que le titre du roman a lui aussi un côté commercial par l’assemblage accrocheur des trois mots ART, GUERRE, FRANÇAIS. Les deux premiers semblent nous renvoyer aux livres de stratégie façon Clausewitz ou aux traités d’antiques militaires de l’empire chinois. Quant à FRANÇAIS, ce simple adjectif attire toujours nos yeux et nos oreilles. Car, pour ceux qui en conçoivent une légitime fierté, ce sera l’occasion d’en trouver de nouvelles illustrations et pour ceux, les mêmes souvent, qui déplorent nos défauts légendaires, ce sera une opportunité d’en explorer causes et non-dits.

Ce roman est sorti à la « rentrée littéraire » de septembre 2011 et a connu d’emblée un certain succès. Je l’ai acheté à ce moment, avant qu’il reçoive le prix, lu d’une traite et beaucoup apprécié. Toutefois, je ne le voyais pas goncourable car rempli de scènes de guerre (sans surprise), très souvent dur, et nous renvoyant à ces périodes mal digérées de notre histoire. Or c’est sans doute c’est qui a conduit le jury à son choix, la forme, le style et l’écriture n’y étant pas non plus étrangers.

Ce moment de discrète commémoration des accords d’Evian, c'est-à-dire de la reconnaissance publique de la fin de notre dimension coloniale, me fait écrire cette fiche de lecture.

La thèse de l’auteur est que le mauvais génie de la France, fait d’arrogance, de sens aigu de supériorité et du bon droit de notre nation historique, combinés à un aveuglement obstiné à tendance héroïque, a conduit à employer la force brutale pour tenter de faire perdurer des causes perdues. Les guerres d’Indochine et d’Algérie ne pouvaient pas être gagnées dans le grand
mouvement mondial des indépendances, mais elles ont été menées jusqu’au bout avec l’idée centrale que la force militaire peut avoir raison d’un soulèvement national. Et que tous les moyens devaient y contribuer.

Et, continue Alexis JENNI, ce problème ne s’est pas éteint avec la fin de ces guerres. L’art français de la guerre se poursuit à l’identique aujourd’hui dans le maintien de l’ordre vis-à-vis de « ceux qui ne sont pas comme nous ». Interventions brutales d’une police militarisée, composée comme avant d’hommes jeunes, athlétiques et suréquipés, entrainant en retour le cercle vicieux de la radicalisation et réciproquement. La force et les opérations coups de poing pour pallier l’absence de la République dans les zones de non-droit.

Voilà le fil du roman, car c’est bien un roman ! Un narrateur, paumé dans la vie et la dérive, rencontre par hasard un ancien (et âgé) officier para. En échange de l’apprentissage de la peinture au pinceau que lui délivre ce dernier, le narrateur écrit le récit de sa vie et de ses campagnes. Celle d’un soldat d’élite, guerrier loyal ni héros ni salaud.

Le talent de l’auteur, inconnu du public et qui se faisait éditer pour la première fois, est de nous conduire dans la démonstration de sa thèse au fil de scènes d’actions décrites avec une précision de correspondant de guerre. Un roman dur et beau avec malheureusement un dernier chapitre inégal où JENNI embarque le narrateur, finalement requinqué, dans un torrent de sentimentalisme universaliste cucul.

Antimilitaristes et romantiques s’abstenir !

Pour ceux qui veulent compléter leur vision de cette période obscure de notre histoire, je conseille la lecture du très beau livre de Jérôme FERRARI.
« Où j’ai laissé mon âme »

samedi 17 mars 2012

1Q84

Auteur : Haruki Murakami (1949-)
Traduit du japonais par Hélène Morita
Editions Belfond
 

Ce livre est un succès qui a dépassé tous les records de vente connus au Japon. Trois volumes sont parus avec 1670 pages au total, ce qui en fait donc une œuvre éligible à la catégorie "fleuve".
L’auteur, Haruki Murakami, jeune sexagénaire et marathonien, est arrivé à la littérature par la tragédie grecque qu’il a étudiée à l’université (improbables Japonais !), par la traduction et… par le jazz dont il a dirigé un club. Dans son œuvre abondante, on citera des titres baroques comme « Les Amants du spoutnik » ou « L’Eléphant s’évapore ».
Pour introduire ce titre bizarre, précisons que les caractères japonais Q et 9 se prononcent de la même façon et que le roman se passe en 1984, référence orwellienne, et au Japon bien sûr. Mais la réalité devient parfois un peu floue et les personnages se demandent peu à peu s’ils n’ont pas subrepticement glissé dans un autre espace, double, 1Q84.
Il est évidemment hors de question pour moi de vous dévoiler quoi que ce soit de l’intrigue afin de préserver votre futur plaisir. Je dirai seulement que l’auteur décrit en parallèle la vie de chacun des deux héros par chapitres alternés, parti pris qui suggère évidemment l’idée de deux mondes parallèles, et que progressivement il distille les pièces du puzzle qui nous dévoile leur passé, leurs blessures et ce qui va rapprocher à nouveau leur destin après vingt ans de séparation.
Sur fonds de secte dangereuse, ce roman crypté et onirique met en scène une belle jeune fille karatéka mystérieuse et vengeresse des femmes violées, et un professeur de mathématiques écrivain, tous deux solitaires et nostalgiques de leur rencontre sur les bancs de l’école.
Le style est précis, d’un réalisme presque clinique, plutôt court en phrase mais riche en mots et contribue à nous mettre dans l’ambiance particulière du récit et à nous tenir en haleine par les découvertes successives que nous faisons de la vie des héros. L’histoire complexe avec meurtres, disparitions, suspens, ressemble aussi à un roman policier. Dans la vie quotidienne banale des personnages s’immiscent progressivement des dimensions surréalistes inattendues.

Citons quelques phrases, quelque peu absconses, révélatrices de la manière de l’auteur :
« Le passé – tel qu’il était peut-être – fait surgir sur le miroir l’ombre d’un présent – différent de ce qu’il fut ? »
« Il ne faut pas se laisser abuser par les apparences, il n’y a jamais qu’une réalité »
« Les choses qui restent enfermées dans notre cœur n’existent pas en ce monde. Mais c’est dans notre cœur, ce monde à part, qu’elles se construisent pour y vivre »


mercredi 29 février 2012

Intégrale des Nouvelles

Auteur : Robert Louis Stevenson (1850-1894)

Ces nouvelles sont intitulées Les nouvelles Mille et une Nuits. Et il s'agit bien de cela, de raconter des histoires, d'inventer, d'inventer encore, d'inventer toujours, de broder, de dériver, d'embarquer le lecteur dans des histoires toutes plus échevelées, toutes plus galopantes les unes que les autres, des histoires dans tous les sens, toutes les directions, se nourrissant de la fantaisie la plus débridée et d'une certaine fièvre. Fièvre des yeux de l'auteur sur la photo de couverture. Et hop, et hop, et hop !
Toutes les nouvelles sont tortueuses, marquées du sceau inquiétant de la mort, mais aussi de la morale et des scrupules obsédants et encore de la noblesse des sentiments.
Voici bien une manière de raconter tout à fait originale. Alors même que les sujets ne me passionnaient pas, étant remplis de conjurations et de poursuites dénuées de réalisme, je ne pouvais détacher mes yeux de ces lignes, je ne pouvais quitter cette narration ensorcelante. Que de suspense ! Cet Anglais a un immense et merveilleux talent de conteur.
J'ai raffolé de la nouvelle nommée "Le pavillon sur la lande" mais aussi du "Club du suicide" ou encore du "Dynamiteur".

http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Louis_Stevenson

http://www.larevuedesressources.org/notes-bibliographiques-sur-robert-louis-stevenson,012.html

http://lasciereveuse.hautetfort.com/archive/2010/01/14/robert-louis-stevenson.html

vendredi 27 janvier 2012

La passion secrète de Fjordur

Auteur : Jorn Riel (1931-)

Traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet 
Éditions 10/18. Domaine étranger

Il y a quelques semaines, j'ai écrit un petit article sur "Le koala meurtrier" de John Cook. J'y faisais une allusion aux Racontars de Jorn Riel. Décidément, après la lecture de ce nouveau joyau, il est bien évident que le Jorn vole bien au-dessus des terres du John.
Ces racontars débordent de profondeur, de poésie, de malice, d'humanisme. D'une incroyable richesse ethnographique, ils sont également un manifeste pour la tolérance, la liberté et contre les préjugés et le racisme.
Fjordur qui a une innocente passion l'obligeant à se cacher partout ailleurs, est accepté et même compris au Groenland où la singularité règne en maître. L'avocat Volmersen va quitter ses affaires et passer une année à écouter sa nature profonde. Enfin, on rencontre un chien inoubliable. "Cet animal magnifique prouvait ce qu'il avait d'ailleurs toujours dit, à savoir que les races mélangées étaient toujours plus intelligentes, plus fortes et plus résistantes que les races pures. Cela étant valable autant pour les animaux que pour les hommes."


http://www.evene.fr/celebre/biographie/jorn-riel-21726.php

Ma cousine Condoleezza et autres nouvelles

Auteur : Mahmoud Shukair (1941-)

Traduction de l'arabe par Stéphanie Dujols
Éditions Actes Sud

A la fin de l'automne, France Culture a consacré une journée à la Palestine. A cette occasion, j'ai appris l'existence de l'écrivain palestinien Mahmoud Shukair. Quelle différence entre son expression orale lors de l'émission et le style de ses nouvelles ! Après la virulence, la colère, l'exaspération radiophoniques, j'ai découvert la sensibilité, l'humour et la dérision littéraires. Par d'infimes détails, par touches on ne peut plus légères, l'écrivain dénonce l'absurdité des situations quotidiennes, l'enfermement et la confiscation des destins.
Les minuscules nouvelles de la seconde partie du recueil sont d'un style inédit. Par leur distorsion de la réalité, elles m'ont fait penser au courant expressionniste.
Très stimulée par la qualité littéraire et l'ouverture d'une fenêtre sur la société palestinienne, vivement touchée par la coexistence de l'énergie de l'écriture et la tristesse soujacente, subjuguée par l'absence de résignation malgré toutes ces années, malgré tous ces morts, malgré tout, je recommande chaudement ce recueil.

http://www.literaturfestival.com/participants/authors/2009/mahmoud-shukair

samedi 7 janvier 2012

Les Déferlantes



Auteur : Claudie Gallay (1961-)
Editions Babel

Le style de Claudie Galley m'a bousculée dans "L'amour est une île", j'aimais ce rythme d'écriture. Alors, pour voir, j'ai poursuivi avec "Les déferlantes".
De nouveau le style m'a embarquée, et puis sont apparus les personnages, à foison, dévoilés avec parcimonie et finesse, rudes et forts comme ces normands de La Hague.

Ce livre est pour moi comme un tableau impressionniste. J'espère que vous l'aimerez aussi.


Quatrième de couverture : La Hague... Ici on dit que le vent est parfois tellement fort qu'il arrache les ailes des papillons. Sur ce bout du monde en pointe du Cotentin vit une poignée d'hommes. C'est sur cette terre âpre que la narratrice est venue se réfugier depuis l'automne. Employée par le Centre ornithologique, elle arpente les landes, observe les falaises et leurs oiseaux migrateurs. La première fois qu'elle voit Lambert, c'est un jour de grande tempête. Sur la plage dévastée, la vieille Nan, que tout le monde craint et dit à moitié folle, croit reconnaître en lui le visage d'un certain Michel. D'autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Comme Lili, au comptoir de son bar, ou son père, l'ancien gardien de phare. Une photo disparaît, de vieux jouets réapparaissent. L'histoire de Lambert intrigue la narratrice et l'homme l'attire. En veut-il à la mer ou bien aux hommes ? Dans les lamentations obsédantes du vent, chacun semble avoir quelque chose à taire.

Biographie de l'auteur : Claudie Gallay est née dans le Dauphiné en 1961. Elle est institutrice dans un village du Vaucluse, deux jours par semaine. Elle passe le reste de son temps à écrire. Quand elle n’écrit pas — ce qu’elle fait depuis une dizaine d’années —, elle peint. Les Déferlantes est son cinquième roman publié dans la collection La brune, après l'excellent accueil de ses deux derniers, Seule Venise et Dans l'or du temps.

Article rédigé et mis en ligne par Kty

Vous trouverez dans le site mentionné ci-dessous des vidéos de présentation des livres de Claudie Gallay. L'une a été réalisée par l'un de mes anciens élèves brestois, Ronan Loup.
Isabelle
http://www.babelio.com/auteur/Claudie-Gallay/23100/videos

Retour à Killybegs


Auteur : Sorj CHALANDON (1952-)

Edition Grasset.– août 2011 – 336 pages

J'adore trainer dans notre petite bibliothèque, pour choisir un livre.
Celui-ci m'a fait un triple clin d’œil avec
- sa jaquette "Grand prix du roman de l'académie française 2011,
- sa bibliographie : Sorj Chalandon, né en 1952, a été longtemps journaliste à Libération avant de rejoindre Le Canard Enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le Prix Albert-Londres en 1988. Il a publié Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon Traître (2008) et La Légende de nos pères (2009).
- Quatrième de couverture :
« Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n'a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence. »

Je n'ai pas lu « Mon Traître » avant de lire « Retour à Killybegs », ce sont les même personnages, mais le narrateur est différent. J'ai mis le lien d'une interview de Chalandon,on perçoit toute son émotion, car cette histoire est son histoire, l'homme dont il parle était son ami, il a simplement changé le nom.
Et c'est un coup de cœur pour moi !
Dans ce livre, Sorj Chalandon donne la parole à son « traître », à travers le personnage de Tyrone Meehan, il imagine sa version des faits, une explication plausible à cette trahison.
Nous suivons en alternance la voix de Tyrone depuis son enfance et son engagement comme jeune républicain et celle de Tyrone durant ses derniers jours, il a quatre-vingt un ans, sa trahison vient d'être dévoilée. Il est retourné à Killybegs en République Irlandaise dans la maison de son père, il sait que ses jours sont comptés.
L'histoire du jeune Tyrone Meeghan commence, avec la mort de son père Pat Meehan devenu alcoolique. Pat était un ancien de l'Armée Républicaine Irlandaise qui avait participé en 1921 à la guerre d'indépendance contre les Britanniques. En 1936, il voulait s'engager aux côté des Républicains Espagnols, contre Franco. Mais sa femme lui a fait entendre raison, sa famille (neuf enfants) a besoin de lui. Pourtant, « Pat Meehan est mort des cailloux plein les poches. C'est comme ça qu'on a su qu'il avait voulu en finir avec la vie. Il nous a laissés seuls en décembre 1940. » C'est alors la misère pour toute la famille. Quelques mois plus tard, son oncle Lawrence les accueille tous chez lui à Belfast, il faut donc quitter Killybegs et la République d'Irlande pour l'Ulster. Ils vont habiter au nord de Belfast dans un ghetto catholique cerné par des quartiers protestants. C'est là que Tyrone rencontre Tom Williams auprès duquel il s'engage dans la lutte.
En suivant les différents épisodes de la vie de Tyrone, le lecteur découvre les difficultés d'être catholique et irlandais en Irlande du Nord, la haine vis à vis de l'occupant britannique, le combat au sein de l'IRA, les conditions inhumaines des prisons...
Par omission, pour ne pas avoir avoué un grosse faute, Tyrone se trouve au centre d'un processus qui va l'entraîner à trahir malgré lui.


http://www.grasset.fr/automne_romanesque_2011/chalandon.html

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