“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

samedi 28 avril 2012

Natacha et autres nouvelles

Auteur : Vladimir Nabokov (1899-1977)

Traduit du russe par Bernard Kreise
Editeur : Gallimard. Collection Folio

De Nabokov, je ne connaissais que l'anecdote relative à l'émission que Bernard Pivot lui avait consacrée. A l'occasion de la venue de ce grand écrivain russe, événement dans l'histoire de la célèbre émission littéraire Apostrophes, Bernard P. avait dérogé à deux de ses règles d'or :
- ne pas communiquer à l'avance les questions à l'invité,
- ne pas lui servir d'alcool.
La théière dont Pivot déverse à intervalles régliers le contenu dans une tasse anglaise est remplie... de vodka.
Cette histoire édifiante m'a permis de dépasser la crainte d'origine inconnue qui me saisit immanquablement devant la littérature russe et surtout ses auteurs.

Cinq nouvelles. Quatre bijoux absolus. Dans la première qui donne son titre au recueil, on découvre l'art multiple de Nabokov. La découverte de l'émoi amoureux de Natacha fait l'objet d'une grande richesse de langage mais aussi de beaucoup de pudeur. C'est également l'histoire infiniment triste d'un vieil homme qui meurt, écrasé par la peine et la pauvreté dans un non-lieu. La peine est celle de l'exil. Alors qu'elle a pris le plus grand soin de son père durant des jours, des semaines et des mois, Natacha n'est pas présente à ses côtés lors de son passage de vie à trépas, toute chamboulée qu'elle est par la présence et l'invitation de Wolf. Cette nouvelle est encore le Petit chaperon rouge revisité. Nabokov nous mettant sur la piste en baptisant ainsi son personnage, Wolf est évidemment le loup. Sur la couverture du livre, le "rouge" est passé du chaperon aux lèvres entêtantes. Le loup vient rendre visite au vieux père à l'agonie mais il n'a qu'une idée en tête, déguster la fraîche Natacha. Wolf est-il amoureux ? Est-il sincère ? Ce n'est sûrement pas Nabokov qui règle cette question, bien au contraire. Et cette question ne cesse de tarauder le lecteur. Chaque phrase recèle une ambiguïté aussi extraordinaire qu'inquiétante. On est constamment sur le fil. Délicieux et fascinant.

La seconde nouvelle est le récit d'un rêve. Atmosphère irréelle et paradisiaque. L'écriture de Nabokov est si puissante sur le plan visuel que j'ai l'impression d'avoir vu un court métrage plutôt que d'avoir lu une nouvelle. Un court métrage dans un cinéma muni d'effets ultra modernes de caresses de l'ange sur ma joue, de souffle sur mon visage, d'éblouissement sensible du corps entier. Une féerie de langage.

Bruits, la troisième, m'a encore une fois emportée au loin. Comment autant de sensations, autant d'émotions peuvent être contenues dans un texte si concis ? Même les silences, même l'absence de mots sont puissants.

Je n'ai pas aimé la nouvelle suivante, Vengeance, la trouvant tout d'abord sans intérêt. En y repensant, il me semble que je suis peut-être repoussée par la cruauté du mari, sa brutalité. Voilà bien ce que je redoute chez les écrivains russes : une puissance poétique sublime, une aristocratie de la sensibilité puis, d'un coup, la fange, la violence vile.

Ce recueil se termine heureusement par Bonté. A nouveau, l'amour pour une femme permet d'accéder à l'amour de la vie.

Aucune préciosité malgré la luxuriance de la langue. Rien n'est vain. Tout est signifiant, expressif, indispensable.
Voilà 2 tout petits euros pour une infinie richesse !


http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB75050355/vladimir-nabokov.fr.html

http://www.babelio.com/livres/Nabokov-Natacha/335721

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Nabokov

http://www.telerama.fr/livre/nabokov-l-ecriture-comme-experience,54889.php

http://www.babelio.com/apostrophes.php?search=3046

http://www.slate.fr/story/15405/bernard-pivot-raconte-apostrophe