“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

mercredi 27 août 2014

Passagère du silence

Auteur : Fabienne Verdier (1962-)

Editions du Livre de Poche



Connaissez-vous beaucoup de jeunes gens talentueux qui vont effectuer aux confins du monde un apprentissage de presque dix ans avec les derniers maîtres de la calligraphie chinoise, le tout dans un pays essoré par la Révolution culturelle ? Des jeunes de vingt ans qui quittent tout, leur famille, leurs amis, leur monde rassurant, leurs repères, pour commencer un chemin semé d'embûches multiples, de maladies, de doutes et de drames. Chercher, chercher, toujours chercher, perdu sur une voie dont on ne connait pas l'issue. Y en a même t-il une ? Aucun petit caillou n'a été laissé à l'aller.
Cette fille, cette Fabienne a un tempérament d'airain. Elle est dotée d'un courage qui frise l'inconscience. Réussissant à éliminer les obstacles uns après les autres, elle suit un maître qui lui enseigne l'art de la calligraphie mais aussi celui la sagesse et de la connaissance.
Le livre est non seulement le journal du voyage mais il rapporte également des enseignements du maître. Et le lecteur sait qu'il est privilégié d'entendre ces paroles d'or.
Enfin, le récit est également un témoignage historique et ethnologique sur la société chinoise des années 80.

J'ai parcouru quasiment d'une traite ce joyau, ébahie d'admiration devant la guerrière Fabienne Verdier. Avant de rencontrer la guerrière, je rencontrai l'artiste par sa peinture devant laquelle j'eus une grande émotion par tant de beauté, d'intelligence, d'équilibre, de sagesse, de force, d'audace. C'était au Groeninge Museum de Bruges où nous allâmes en famille en juillet 2013. Rentrée pour contempler les sublimes primitifs flamands, je ressortis sonnée -foudroyée- par l'interprétation qu'en avait faite Fabienne Verdier.

Cette artiste a signé quelques livres de peinture. Autant de chefs-d'oeuvre.

http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/article-24743651.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fabienne_Verdier

http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2008/10/31/11174389.html#comments

http://buffetlitteraire.wordpress.com/la-passagere-du-silence-presente-par-brigitte-laporte-darbans/

http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=198

http://fabienneverdier.com/db/video/majunga-tower/

http://assoapex.over-blog.com/article-fabienne-verdier-reportage-televise-sur-114931489.html

http://fabienneverdier.com/db/video/saint-christophe-traversant-les-eaux/

http://www.consulfrance-hongkong.org/Fabienne-Verdier-a-Hong-Kong


lundi 25 août 2014

Les Bons Chrétiens

Auteur : Joseph O'Connor (1963-)

Traduit de l'anglais (Irlande) par Pierrick Masquart et Gérard Meudal
Préface de Hugo Hamilton

Editions Phébus




Les femmes et des hommes s'enivrent pour oublier qu'ils ne savent pas communiquer, qu'ils n'ont ni les mots, ni l'autorisation, ni le savoir-faire pour parler d'eux, de leurs corps, de leurs sentiments, leurs désirs, leurs doutes et leurs peurs. Faisant office de grand assommoir universel, l'alcool coule, omniprésent.
Deux hommes sont armés de courage. Après la découverte violente que l'un est soldat anglais et que l'autre est un volontaire de l'IRA, ils poursuivent leur relation amoureuse, faisant fi des très forts tabous que celle-ci soulève de tous côtés. Ils tentent de fuir ce pays en proie à une atroce guerre civile. On s'en doute, cette première nouvelle du recueil fit grand bruit lors de sa publication. À l'aune de ce que je perçois de la société corsetée de la fin du XXe siècle, je comprends bien quels énormes pavés elle a jetés dans la mare figée de l'Irlande.
Les collines aux aguets est la meilleure du recueil. Il m'a semblé que petit à petit, la barre baissait et que le style devenait un procédé, un truc. Certaines trivialités sont utilisées pour faire croire qu'on traite des "vrais gens". Paradoxalement, cette expression dénote souvent une certaine condescendance. Nulle condescendance de la part de Joseph O'Connor, mais une complaisance dans un style parfois - souvent - trop familier, trop affadi de dialogues mous. J'ai souvent du mal à supporter ce genre de fausse spontanéité, cachant mal ce qui me semble être une négligence et parfois une absence d'urgence à écrire.
Et pourtant, des urgences vitales à dire et témoigner, il y en a dans ce pays ! Pas enthousiasmée par le style, je l'ai été par l'étude sociologique de l'Irlande des années 80. Quel malaise, quelle misère ! Mary Gordon, dans son article du New York Times du 3/8/2003, voit dans le silence assourdissant la conséquence du mutisme qui frappait, et peut-être frappe encore, la société irlandaise dans son ensemble, sous l'effet d'un sentiment de honte renforcée par le poids de la colonisation anglaise, de la pauvreté ou de l'alcoolisme.
Lisez Joseph O'Connor, lisez, lisez Nuala O'Faolain ! Battons-nous courageusement et sans relâche contre le silence mortifère, les atroces secrets des familles et des sociétés entières.

Vous trouverez ci-dessous des chroniques souvent élogieuses de ce recueil, ainsi que des informations sur l'auteur et l'article de Mary Gordon.

http://www.lecture-ecriture.com/4768-Les-Bons-Chrétiens-Joseph-O'Connor

http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=63905

http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_O'Connor

http://www.telerama.fr/livres/muse,73575.php

http://www.nytimes.com/2003/08/03/movies/how-ireland-hid-its-own-dirty-laundry.html?pagewanted=all&src=pm


lundi 11 août 2014

On s'est déjà vu quelque part ?

Auteur : Nuala O'Faolain (1940-2008)

Traduit de l'anglais (Irlande) par Julia Schmidt et Valérie Lermite
Titre original : Are You Somebody ?

Éditions 10/18



Quelle opportunité que de profiter d'un séjour en Irlande pour lire des auteurs irlandais ! Saisissant l'occasion, je fis juste avant notre départ pour Roscoff un saut chez Gwalarn, me postai devant les O' et opérai un choix parmi lequel s'est imposé ce récit autobiographique.

Ayant atteint la cinquantaine, Nuala O'Faolain éprouve un irrésistible besoin d'écrire sa vie. Sans aucun fard, sans aucune complaisance, elle lève le voile sur une enfance malheureuse de manque d'amour parental, une adolescence malheureuse de manque d'amour au pensionnat, un âge adulte malheureux de manque d'amour conjugal, de solitude et de frustration sexuelle. Malgré l'irréductible singularité de son parcours, elle découvre petit à petit qu'elle vit ce que des milliers d'Irlandais subissent également, des parents submergés par de trop nombreux enfants, des parents alcooliques, des maltraitances de toutes sortes, une société patriarcale qui bâillonne les femmes, une religion abusive empêchant toute évolution, une tradition-verrou. Le tableau brossé est effrayant.

Nuala écrit d'une écriture torrentielle. En souffrance, elle appelle, crie, dénonce, témoigne. Publié pour la première fois en 1998, son livre devint immédiatement et contre toute attente un best-seller. Je n'en suis pas étonnée le moins du monde. N'ayant pas pour but de séduire, ses mots ne jouent nullement avec le lecteur, ne cachent pas, ne travestissent pas. Bien au contraire, ils établissent un lien direct de confiance. Oserais-je dire qu'en jaillissant, en se bousculant, se frayant un passage désordonné, luttant pour leur propre survie, ses mots mettent des mots sur l'indicible acculé à se dire. Et ce geyser est une force qui donne de l'énergie au lecteur, une force de vie, un partage salvateur.

Pendant les mois qui ont suivi la publication, Nuala O'Faolain a reçu des centaines de lettres de très nombreux Irlandais saluant humblement son humanité et son invraisemblable courage.

Comment a-t-elle été sauvée ? Par la lecture, par le compagnonnage avec les auteurs classiques et contemporains, par les poèmes lyriques. Elle confie que l'événement majeur qui a suivi sa naissance et a marqué sa vie est l'apprentissage de la lecture. Elle est en cela la soeur de l'écrivain hongrois Imre Kertész et de tant d'autres. Par la musique aussi, étant une mélomane passionnée. Par l'amitié.

J'ai rencontré mon amie Ani à Ballyshannon dans le Donegal, l'un des magnifiques contés de l'Irlande, à la fin de juillet 1984. Ani est très engagée dans le combat que doivent mener les femmes pour occuper toute leur place dans le monde. Féministe, Nuala a mené cette même lutte au cours de sa vie et par ses récits et romans. Elle s'est éteinte prématurément en mai 2008, entourée de ses amis. Je recommande très chaudement la lecture de ce livre tumultueux qui m'agrippe depuis ses premières lignes et dont l'étreinte ne s'est pas desserrée. Un immense merci à son éditrice Sabine Wespieser.

Isabelle





http://www.swediteur.com/auteur.php?id=11

http://fr.wikipedia.org/wiki/Nuala_O'Faolain

http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/05/14/le-dernier-voyage-de-nuala-ofaolain/

http://irishamerica.com/2013/03/nuala-a-new-documentary-review/

http://www.franceculture.fr/personne-nuala-o-faolain.html

http://sylire.over-blog.com/article-on-s-est-deja-vu-quelque-part-nuala-o-faolain-119434588.html

http://lesquotidiennesdeval.over-blog.com/article-on-s-est-deja-vu-quelque-part-par-nuala-o-faolain-106675549.html