“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

vendredi 20 décembre 2024

Personne ne sort les fusils

 Sandra Lucbert (1981-)

Éditions points


Voici un livre dont ni Michel ni moi n'avions jamais entendu parler avant qu'il me soit offert avec un sens aigu de la pédagogie politique par mon collègue et cher ami Romain. Comment cette totale méconnaissance fut-elle possible alors que Michel est employé chez Orange et que j'ai dirigé le choeur du site Orange de Lannion de 2010 à 1016 après que les Assises de la Refondation ont abouti entre autres à la mise en place de choeurs dans de nombreux sites de l'entreprise ? Il semblerait que l'entreprise se soit bien gardée d'en faire l'écho.

Sandra Lucbert a suivi le procès des sept dirigeants de France-Télécom-orange qui ont théorisé et mis en oeuvre les méthodes très maltraitantes sur le plan psychologique pour faire partir coûte que coûte (c'est le cas de le dire) 20 000 personnes de l'entreprise entre 2006 et 2008. Beaucoup en ont subi de très lourdes conséquences psychologiques et physiques : certains ont été contraints de s'arrêter de travailler pour cause de dépression, plus de trente personnes ont tenté de se suicide, dix-neuf y sont parvenues. Je me rappellerai toujours le visage et les larmes de mon collègue Sylvain dévasté par l'annonce de la mort par défenestration de son élève saxophoniste sur son lieu de travail.

Le livre reprend avec minutie les éléments de langage des responsables - "par la fenêtre ou par la porte" - et leurs interventions lors du procès qui s'est tenu de mai à juillet 2019, dont l'indécent "ils ont gâché la fête". La flamboyance de la créativité littéraire de l'auteure est mise au service de la juste cause qu'elle défend, de la démonstration que le langage est un instrument qu'il convient de manier finement et avec la plus grande lucidité pour n'en pas être le jouet.

Il s'agit de rendre compte comment les individus incriminés ont activement participé à la déshumanisation générale de l'ensemble des employés mais aussi de (dé)montrer qu'il s'est agi avant tout de la logique globale et globalisante du capitalisme sans frein. La déléguée syndicale CGT de Lannion Gaëlle Urvoas disait à l'ouverture du procès que "depuis 2012, [il y avait encore eu] plus de 12 000 suppression d'emplois [et que] les enquêtes de 2016 du comité national de prévention du stress [montraient qu'il y avait] plus de 21 % de l'effectif qui se déclarait en stress décompensé, un stress fort ou très fort".

Avant d'écrire ce court texte, j'ai lu l'article universitaire publié sur le très sérieux et très recommandable site fabula la recherche en littérature. Brillant, cet article me fait tout à fait renoncer à essayer de barbouiller quoi que ce soit d'autre pour rendre compte de ce petit livre très percutant, très rock, maniant l'uppercut et le scalpel littéraires avec dextérité, audace et à-propos virtuose. Un livre glaçant mais salutaire pour tenter de faire barrage à l'aveuglement et à l'acceptation collective de l'inacceptable. L'article en question s'emploie à mettre en valeur l'espace littéraire singulier dégagé par Sandra Lucbert : ni politique, ni strictement littéraire, mais un espace langagier inédit qui, par son inventivité, son rythme, son maniement du glissement, de l'association, de l'analogie chers aux psychanalystes et aux surréalistes décrit, dénonce au plus près les manigances, les aliénations, les destructions, les abîmes du capitalisme. ici encore, la créativité crée un fol espoir. Le langage, plante carnivore mortifère et destructrice chez les sept dirigeants accusés, devient chardon et ortie fertilisants dans celle de Sandra Lucbert.

Je me permets quand même de relever quelque chose qui m'a gênée. L'auteure s'en prend à l'économiste Esther Duflo qu'elle me semble épingler uniquement par ivresse onomastique narcissique. Au cours de sa démonstration linguistique implacable, Sandra Lucbert étudie la signification et les usages du vocable anglais flow. Affublée du patronyme Duflo, l'économiste Esther D. se voit réduite à celui-ci. Pourtant, élève de Daniel Cohen qui a entre autres conseillé le Premier ministre grec Giórgio Papandréou et le président équatorien Rafael Correa pour la renégociation de la dette de leur pays et a participé avec la Banque mondiale à l'Initiative pays pauvres très endettés, elle détient la première chaire internationale "Savoirs contre la pauvreté" puis la chaire statutaire au Collège de France "Pauvreté et politiques publiques" depuis 2022. Elle obtient le prix Nobel aux côtés de son époux Abhijit Banerjee et de Michael Kremer pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté. Bon, même si tout cela ne doit pas obligatoirement élever la Duflo au rang de sainte, elle ne me paraît pas devoir être nommément visée par le lance-flammes de Sandra Lucbert.

Lisez ce petit livre bombe atomique qui se dévore d'un coup. Un thriller, presque. Vloufff !

Lisez également ce bel article de Jean-Marc Bau dans la revue en ligne fabula

https://www.fabula.org/revue/document17786.php

Grâce à ce lien, vous pourrez en savoir plus sur Esther Duflo : 

https://www.college-de-france.fr/fr/actualites/la-pauvrete-est-multidimensionnelle

Grâce à ce lien, vous pourrez en savoir plus sur la Normalienne et Agrégée de Lettres modernes Sandra Lucbert :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sandra_Lucbert

Portrait de Sandra Lucbert


Enfin, je ne peux m'empêcher d'ajouter ce texte d'un autre révolté, Victor Hugo, l'immense, l'extraordinaire, l'un de ses discours en tant que député. Celui-ci est proféré à l'Assemblée le 9 juillet 1849.

Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu’où elle est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.

Voilà un fait. En voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé !

jeudi 25 juillet 2024

Quatrevingt-treize

Auteur : Victor Hugo (1802-1885)

Éditions folio classique

Quatrevingt-treize - Poche - Victor Hugo, Yves Gohin - Achat Livre | fnac

Par hasard, les huit derniers mois (novembre 2023-juillet 2024) m'ont amenée à parcourir de long en large les cinquante premières années de la vie de Chateaubriand, soit de 1768 à 1816 : le premier volume des Mémoires d'Outre-tombe de François-René mais aussi Le Chevalier de Maison-Rouge d'Alexandre Dumas - qui fait l'objet d'une chronique dans ce blog - et enfin Quatrevingt-treize (sic).

Quatrevingt-treize est le dernier roman de Victor Hugo, donc une somme, un monument, un sommet. Panorama objectif et vision subjective de la Révolution française au moment où elle est happée par sa spirale morbide/mortelle/mortifère, théorie historique de la prise de la Bastille à la Terreur, vastes tableaux, sentiments grandioses, pitoyables destins individuels dans le carnage collectif, élans et actions sublimes, bassesses abjectes, rédemption : voilà un sujet digne du grand Hugo qui parvient, dans un geste de démiurge, à saisir tout à la fois et à être terriblement humain, les personnages apparaissant dans leur grandeur et leur dénuement, dans leur gloire et leur accablement. Et Hugo abolit toutes les frontières, la puissance sans fond du sujet lui permettant de produire un texte total : épique, lyrique et romanesque. Le lecteur traverse la Bretagne de long en large avec des personnages chargés d'un destin plus grand qu'eux, qui les élève ou les écrase. Beaucoup d'espoir, beaucoup de souffrance. Parmi l'ensemble dont le souffle est majestueux et ardent, je distingue la puissante tempête du début et la tendre journée des trois enfants privés de leur mère durant laquelle un manuscrit d'une inestimable valeur est mis en pièces. Gestes symboliques de l'écrivain qui renverse tout sur son passage.

Je suis très heureuse de ce parcours littéraire et historique consacré à la Révolution qui a façonné notre nation.

Grâce au lien suivant, vous pourrez écouter la série de quatre numéros que lui a consacré France Culture dans son émission La compagnie des auteurs :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-victor-hugo-le-monstre-sacre

Grâce au lien suivant, vous pourrez écouter l'émission de France Culture Une vie, une oeuvre, consacrée à Hugo :

https://www.youtube.com/watch?v=CEiM7WuuUX8

Grâce au lien suivant, vous pourrez écouter l'émission de France Culture consacrée au contexte historique du roman qui nous occupe : 

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/le-contexte-historique-du-roman-quatrevingt-treize-de-victor-hugo-3831645

Enfin, grâce au lien suivant, vous pourrez écouter l'émission de philosophie sur ce roman de Hugo :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/quatrevingt-treize-de-victor-hugo-le-spectre-de-la-revolution-3825163

mardi 23 juillet 2024

Le refus

Auteur : Imre Kertész (1929-2016)

Éditions Actes Sud
Traduction de Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
Prix Nobel de littérature en 2002              




S'il te plaît, cher lecteur, veuille bien prendre le temps de prononcer correctement ce patronyme magyar : Immrè Kertésss et non pas Kertéch ou Kertézzz comme on entend ici et là, et même - misère de misère ! - sur France Culture.

Après avoir été déporté puis interné en camp de concentration pendant plusieurs mois à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, après que son corps en soit ressorti miraculeusement vivant, après que son être profond en soit traumatisé voire brisé, le jeune Hongrois Imre Kertész a éprouvé le besoin impérieux d'écrire pour tenter de s'accrocher à la vie. C'était sans compter sur la suffisance et la bêtise sans fond du genre humain, les humains qui ne sont jamais aussi horriblement drôles que quand ils se prennent au sérieux et qu'ils s'arrogent le droit de juger. Le texte a été estimé peu convaincant à cause de ce qui fut perçu comme un "manque de réalisme". Le livre a été refusé. Manuscrit retourné par la poste. Refusé. Pas convaincant...

Après un moment de sidération paralysante, l'écrivain est parvenu à puiser dans ce refus assez d'indignation et de capacité de résistance pour faire jaillir une minuscule mais vitale nouvelle étincelle créatrice.


Il s'agit d'un livre étrange, d'un drôle de livre, vraiment, d'un livre composé de deux parties fantasmagoriques et fascinantes, dont on se demande quel lien elles peuvent bien entretenir entre elles si ce n'est celui de l'expérience du totalitarisme et du monde d'Ubu. La première partie suit un homme qui, miné par son échec d'écrivain, se cogne aux murs et au mobilier minable de son appartement typique du côté est du Mur, tout à fait représentatif de l'ère soviétique. Tout à la fois pitoyable et drolatique, l'écrivain atteint d'une rage topographique obsessionnelle utilise les points cardinaux pour rendre compte de ses positions et trajectoires dans ce qui apparaît être une cage. On erre d'une étagère située au nord-ouest à une chaise posée un peu plus au nord, les deux objets élimés, éventrés, usés jusqu'à la trame ne devant pas être distants de plus d'un mètre ou deux... Il faut également compter avec une perceuse récurrente, objet malfaisant qui toujours choisit précisément le moment du commencement de l'action d'écrire pour entrer en action. Enfin faire face à deux figures féminines qui, si elles entourent l'écrivain d'une certaine attention, pèsent d'un poids moral puissant. J'ai nommé sa mère et sa femme, bien sûr, qui vouliez-vous que ce fût ? Mère et femme à la fois dévouées et culpabilisantes. Aimantes et étouffantes. Soutenantes et aliénantes.

Le désespoir est si puissant que l'écrivain y puise assez de force pour écrire avec une lucidité, une noirceur créatives sans mesure, une ironie férocissime, un sens burlesque à toute épreuve. Comment parvient-il tout à la fois à rendre compte sans aucun fard de la réalité nue et ménager le minuscule écart qui lui permet de ne pas s'y laisser tout à fait enfermer ? Sa résistance, sa liberté sont celles des mots, des phrases, des assemblages de mots, des suites de phrases, des liens, des résonances, du regard et de la distance que tout cela parvient vaille que vaille à ménager, de la conscience qui en est diaboliquement aiguisée.

La seconde partie arrive sans crier gâre, on entre dedans tout à coup, mais à quel moment ? Un autre personnage, Köves, étrange bonhomme, revient dans ce pays après avoir séjourné situé de l'autre côté pendant un certain temps. Faisant face au pouvoir nouveau, aussi omniprésent qu'invisible, insaisissable, il est assailli par l'administration, la bureaucratie, le règlement staliniens dans une farce tragi-comique d'une noirceur sans fond. Köves dérape, glisse, s'embourbe, s'enfonce mais parvient à ne pas se laisser complètement anéantir.

Voici un livre qui se tient droit devant le totalitarisme, la dictature, le pouvoir de la force. Un livre qui, en plus de sa qualité de diamant noir, apprend l'indispensable refus. 

Pour toute votre oeuvre indispensable, pour votre droiture, votre courage, pour l'humanité que vous avez su préserver, pour cette écriture forte et salvatrice, merci, merci, cher Imre Kertész !



Grâce à ce lien, lecteurs à la prononciation impeccable, vous pourrez écouter quatre émissions que France Culture a consacrées à cet écrivain :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-imre-kertesz 

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter l'émission "Hors-champ" de Laure Adler sur France Culture à l'occasion de la sortie de son livre "Journal de galère" :

https://www.youtube.com/watch?v=iiBVjwXmQUk

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter l'émission les archives INA, très brèves et très intéressantes :

https://www.youtube.com/watch?v=Nq9sKhNLuOk

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter l'émission "Une vie, une oeuvre" sur France Culture :

https://www.youtube.com/watch?v=JAl5Y6j7yOY&t=11s





Le Chevalier de Maison-Rouge

Auteur : Alexandre Dumas (1802-1870)

Éditions folio classique
Édition de Sylvie Thorel-Cailleteau


Quelle histoire !  Quelle tragédie ! Quel sens romanesque ! Quel plaisir de lecture malgré l'effroi et la sidération !

Pour deux francs six sous je me suis procuré ce livre le 25 novembre 2023 dans un délicieux café associatif du Pèlerin (Loire-Atlantique) alors que nous participions, bouleversés, à "la chanson du samedi" sur le thème de la paix, chanson chantée et jouée à la guitare par un groupe de citoyens-musiciens aussi généreux qu'engagés. Grand partage impromptu et grande émotion...
Le vocable de "citoyen", combien de fois le lit-on dans ce roman qui se déroule au plus fort de la Terreur, en 1793, quelques mois après la décapitation du roi, à l'époque de l'emprisonnement de Marie-Antoinette au Temple puis à la Conciergerie, à l'ignominie de sa séparation d'avec son petit garçon qui en mourra lui aussi.

Si nous sommes plongés dans l'Histoire avec sa "grande hache" (c'est vraiment l'occasion d'employer ce terme de Claude Simon !) - les tentatives pour faire évader la "veuve Capet", la chute des Girondins, les condamnés de plus en plus nombreux -, celle-ci est finement cousue avec le récit d'une amitié indéfectible et celui d'un amour lumineux entre deux êtres que leurs engagements politiques ne pouvaient qu'opposer. Las, ces deux sentiments magnanimes et grandioses font face à la vilenie la plus abjecte, la peur, la méchanceté, la mesquinerie, la jalousie, la rancoeur, la bêtise, tout ce cortège d'horreurs et de saletés qui aboutissent aux dénonciations, aux trahisons et aux exécutions en masse.

Maurice est superbe et intègre, Geneviève est ravissante et droite, tous deux sont transcendés par l'amour qui les lie par-delà leurs convictions, leurs engagements, leurs situations personnelles, l'amour qui les auréole au firmament et va finalement les perdre. Cependant le personnage qui m'a le plus profondément émue est Lorin, l'ami poète, le créateur de quatrains et de distiques, le diamant pur, le merveilleux.

Quel grand, quel magnifique écrivain que Dumas qui parvient à nous emporter, page après page, à nous maintenir vifs et passionnés. Pas un seul temps mort. Tout est spirituel, tout est enlevé. Avec grâce et profondeur, il enfourche cette période pour réfléchir à la condition humaine, à ce moment si spécial et horrible de l'histoire de notre pays, sur les vices et les vertus des hommes. Et il atteint un sommet quand il nous fait côtoyer les condamnés dont l'avenir ne se compte plus qu'en minutes. Les dernières pages sont d'une sublime intensité.

Je pensais ne m'offrir qu'un grand plaisir de lecture, je suis sortie de ce roman bouleversée. Il se trouve de plus qu'à Rennes, je lis en ce moment les Mémoires d'Outre-tombe de Chateaubriand et que j'en suis au moment de la Terreur. Les personnages de fiction qui sont exécutés chez Dumas sont chez Chateaubriand bien réels : plusieurs membres de sa famille, une soeur et un beau-frère qui laissèrent un très jeune enfant...




Grâce à ces liens, vous pourrez accéder à différentes belles émissions consacrées par France Culture à Alexandre Dumas : 

Grâce à ces liens, vous pouvez accéder aux deux premières parties du feuilleton tourné en partie à Senlis (ma ville natale) en 1963 : 

Grâce à ce lien, vous pouvez accéder au film éponyme tourné en 1913 :