“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

lundi 21 août 2023

Le pont de Bezons

Auteur : Jean Rolin (1949-)

Éditions P. O. L. puis Gallimard, collection Folio
Prix Joseph Kessel 2021


Mais qu’est-ce qui peut bien motiver un type à concevoir et mettre à exécution ce projet loufoque de parcourir à pied de manière complètement aléatoire, sans aucun ordre ni aucune logique perceptibles, les berges de la Seine de part et d’autre du pont de Bezons, de divaguer au gré de l’inspiration, des saisons, du hasard, des envies anarchiques, du besoin d’itinérance et de dispersion entre Melun au sud et Mantes au nord ? Et d’y consacrer un livre ? 

L’écrivain Jean Rolin - dont je lis pour la première fois un écrit - a consacré une année de sa vie à ce projet en deçà et au-delà du fameux pont situé en aval de Paris (mais de l’arrogante capitale - quelle audace, quelle délicieuse extravagance ! -, NULLE TRACE !), juste après celui d’Argenteuil. Jour après jour, il prend des notes, s’attache à rendre compte de minuscules faits, de détails infimes relevant de l’observation des oiseaux - êtres vivants dont il raffole, en véritable disciple de saint François d’Assise -, de l’état des sols, des rencontres humaines plus ou moins drôles ou inquiétantes, des impressions laissées par telle ou telle friche, tel ou tel terrain vague, telle ou telle ruine, les restaurants fermés, les pancartes absurdes ... C’est à partir de ces relevés sur le vif qu’il compose son texte. Je m’interroge sur la nature des qualités de ce récit autobiographique, qualités qui ont suscité chez moi une très grande envie de poursuivre ma lecture quand bien même il n’y a aucune intrigue, aucun personnage romanesque, exceptée, de loin en loin et sans qu’elle ait une quelconque incidence sur le projet, la figure à la fois réelle et fantomatique de « Celui-des-ours » dont l’étonnant surnom m’a évoqué ensauvagement, douceur et affection de la part de l’écrivain. C’est cela : à l’exemple de cette mystérieuse dénomination, tout est étonnant. Tout est à la fois connu et inconnu. Jean Rolin nous fait le don de son temps et de ses yeux qui ont vu des espaces parcourus par à peu près personne, toutes ces zones desquelles la dérive industrielle et la rationalisation des terrains ont exclu les arpenteurs. Et ce que l’on connait, on le voit/lit avec des yeux nouveaux. La laideur comme la beauté, ce qui semble avoir du sens comme ce qui en est complètement dépourvu. Ce qui est réaliste prenant l'aspect du fantastique, le lecteur a ainsi parfois l’impression délicieuse de se promener dans un tableau surréaliste, une Seine de Dali, d‘Yves Tanguy.

Si Jean Rolin se plaît à plonger de temps à autres dans le passé pour évoquer et traquer les vestiges des écrivains passés et des peintres impressionnistes, c’est grâce à la figure de son oncle qui a d’abord été du mauvais côté de l’Histoire au cours de la Seconde guerre mondiale que l’on entrevoit l’une des motivations du projet. Il s’agit d’essayer de faire resurgir des souvenirs d’enfance et retrouver les traces de ce qui a profondément divisé la famille paternelle et a constitué un tabou. Une cousine est bientôt retrouvée qui non seulement envoie des photos mais cède également à l’obsession de la déambulation sur les berges et à la protection des petits cygnes, ce qui donne lieu à l’un des sommets dramatiques de ce périple. 

Enfin, la beauté de la langue m’a portée. Dieu, comme tout cela est bien écrit ! Et combien cette plume sert son propos ! Et voilà que l’on comprend sans doute l’un des plus profonds ressorts de ce livre. Le prétexte est littéraire. Il s’agit d’une part de prendre au mot Céline (« Chanter Bezons, voici l’épreuve ! »), d’autre part de répondre à ce qu’écrit avec un merveilleux humour Louis Aragon dans son roman Aurélien : « Personne ne s’avisait de marcher le long de la Seine. Pourquoi l’aurait-on fait ? et qui ? Les gens sont raisonnables. Cela n’a pas de sens de marcher le long de la Seine. Après il faut revenir. On est bien avancé. » Oui, bien d'accord, voilà qui est tout à fait déraisonnable. Sauf sur les plans poétique et onirique. Et dans ces dimensions célestes, combien cette lecture nous a fait bien avancer ! Quel voyage ! Quel enchantement !


Jean Rolin

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter une émission de critique littéraire de France Culture, avec les critiques Lucile Commeaux, Sally Boon et Laurent Nunez :

vendredi 12 mai 2023

L'homme en rouge

 Auteur : Julian Barnes (1946-)

Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin

Éditeur : folio



L'homme en rouge bien fait de sa personne qui emplit l'espace de la couverture ci-dessus est le gynécologue Samuel Pozzi, personnage dont le talent, l'ascension sociale, la trajectoire professionnelle mais encore plus la très riche et mouvementée vie affective, l'attirance pour les femmes, le nombre de liaisons et la fin tragique en font un personnage de roman. Paradoxalement Julian Barnes n'écrit pas un roman mais un essai qui ne cache son attirance pour personnage autour duquel est joyeusement disséminée une multitude d'informations sur son époque. Appelée un peu rapidement la "Belle Époque", ce temps regorge de duels, de coups de pistolets, de tendances politiques délétères. Dans ce mélange entre faste, clinquant, paillettes et cloaque, Pozzi surnage, toujours là où il faut, porté par son doigté et son charisme hors du commun.
De son côté, l'écrivain furète dans ce bazar, à la fois jardin anglais, musée Grévin et cabinet de curiosités. Si Samuel Pozzi est le centre autour duquel le texte est "organisé" (peut-on employer ce terme dans un si foisonnant et prodigieux labyrinthe ?), l'auteur s'attarde sur d'autres fascinants personnages, le comte Robert de Montesquiou, l'improbable couple qu'Edmond de Polignac forme avec la duchesse, mais encore le détestable Jean Lorrain.
Une question essentielle est posée, qui parcourt ce livre ressemblant à aucun d'autre : comment écrire une biographie ? Où est la vérité ? Comment composer un tableau ? Que dévoile réellement une photo ?

Pozzi, Samuel (1846-1918) CIPH0045 (cropped).jpg


J'ai ouvert ce livre en pensant qu'il s'agissait d'un roman, attirée par le magnétisme de cet "homme en rouge" et par le titre, aussi prometteur de passion qu'inquiétant. L'horizon d'attente était donc celui qu'on a à l'ouverture d'un roman. Au bout de quelques lignes, complètement désorientée, je me suis demandé où j'avais mis les yeux. Ce n'est qu'après avoir compris qu'il s'agissait d'un essai que ma lecture a non seulement été facilitée mais tout simplement rendue possible et que j'ai enfin pu m'intéresser à l'ouvrage.
Après avoir lu ce texte, brillant, débordant, insaisissable, j'ai lu un roman, cette fois, De Venise à Venise, de P. M. Pasinetti (et dont vous trouverez l'article publié en mai 2023) dans lequel, hasard incroyable !, l'un des personnages a, comme Pozzi, un portrait effectué par le peintre John Sargent...

Lien de l'article Wikipedia sur Julian Barnes :

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter l'émission critique de France Inter "Le Masque et la plume" qui évoque "L'homme en rouge" :

Grâce à ce lien, vous pourrez écouter l'émission critique de France Culture qui évoque "L'homme en rouge" : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-critique/theatre-le-theatre-et-son-double-et-a-l-abordage-litterature-mathilde-alet-et-julian-barnes-5371030


L'homme foudroyé

 Auteur : Blaise Cendrars (1887-1961)

Éditions Gallimard. Collection folio.


C'est grâce à l'attrait toujours renouvelé pour l'Agrégation de Lettres modernes qui ne cesse, année après année, de me faire découvrir des textes et parfois même des auteurs - notamment en Littérature comparée - que j'ai lu ce flamboyant roman, celui d'un surdoué de l'écriture, d'un surdoué de la vie. C'est pourtant un type à qui le traumatisme causé par l'amputation de son bras gauche à cause d'une blessure à la guerre de 14-18 fait brutalement stopper l'écriture malgré de retentissants débuts. Voici donc l'homme foudroyé. Mais cet homme est foudroyé une seconde fois quand il retrouve le chemin du stylo, quand il retrouve l'envie d'écrire, se raconter, défier le soleil (regardez ci-dessous ce flambeur absolu en pleine lumière). L'incipit de ce roman est baigné de cette irradiation solaire, de cette puissance, de cet absolu. Vertigineuse entrée en matière qui m'a enthousiasmée par son rythme, son énergie et sa vitalité. 

Le début laisse la place au récit des mille moments uniques de sa vie si dense. Cendrars s'impose comme le jumeau d'Ulysse. Sa curiosité insatiable, sa totale absence de peur, son fol appétit de vivre, d'aimer, de faire l'amour lui permettent de partager avec le lecteur ce que personne d'autre n'aurait pu faire, ce que personne n'aurait eu l'audace crâne de faire. Et puis il y a cette écriture ! Quel style, quel génie des mots et du fil ! Sur les deux photos, celle sur la couverture du livre et celle à la James Dean, l'homme a une cigarette aux lèvres. Cette cigarette est le stylo. L'écrivain est un conteur, un rhapsode. Le texte jaillit de la bouche, trouve le chemin direct, coule, se répand.

S'il convient ici et là de recontextualiser le texte, notamment en ce qui concerne certaines considérations sur les femmes, l'ensemble est grandiose et quelques scènes ne peuvent être oubliées de sitôt. 

Il s'agit d'un très grand texte.


Grâce à ce lien, vous aurez accès à une très belle et très inspirante étude de ce livre effectuée par un professeur de l'Université d'Aix-Marseille.

https://cielam.univ-amu.fr/malice/articles/re-naissance-demiurge-blaise-cendrars-lhomme-foudroye

Grâce à ce lien, vous aurez accès à un magnifique article du site "En attendant Nadeau" : 

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/03/21/cendrars-agregation/

Grâce à ce lien, vous aurez accès à quatre émissions consacrées par France Culture à Blaise Cendrars :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-blaise-cendrars





lundi 8 mai 2023

W ou le Souvenir d'Enfance

 Auteur : Georges Perec (1936-1982)

Éditeur : Gallimard. Collection L'Imaginaire.


Quand il avait environ quatre ans, Georges Perec a perdu son père qui, bien qu'émigré, s'était engagé dans l'Armée française au début de la 2e Guerre mondiale. Mort au combat en 1940. Cet homme était courageux et juif, ce qui lui a valu de n'avoir aucune reconnaissance de l'Etat français. Également juive, sa femme restée seule n'a reçu aucune aide, bien au contraire. Ayant compris l'ignominie en oeuvre dans cet État pourri jusqu'à la moelle, elle a tout fait pour sauver son jeune enfant. À l'âge de six ans, celui-ci a été en urgence hissé dans un train en partance pour une colonie de vacances dans le sud. Il n'a plus jamais revu sa mère qui a fini ses jours dans un des lieux de honte infinie où ont fini leurs pauvres jours tant et tant de ses compagnes et compagnons d'infortune.

W ou le souvenir d'enfance est un texte unique en son genre : la fiction d'une organisation qui semble permettre l'épanouissement optimal d'athlètes accomplis. Mais petit à petit, chapitre après chapitre, ce qui correspondait à une sorte d'idéal de l'olympisme se révèle être un jeu sadique dans lequel les individus sont soumis au hasard, à l'aléatoire puis bientôt et sans aucune retenue au vice le plus abject, à la perversité la plus totale.
En alternance, d'autres chapitres sont le récit autobiographique de la recherche éperdue de l'écrivain sur ses parents, ses origines, son enfance, la disparition de ses parents, les circonstances de leur décès. Les indices, les témoignages des uns et des autres sont ténus, infimes. Quelques bouts de paroles, une photo écornée. Rien, presque rien.

La fiction quasi fantastique comble les lacunes du récit autobiographique morcelé, indigent, aux trous béants.
Voici bien sûr un livre très important du 20e siècle, écrit par un homme pour qui l'écriture est un lien essentiel avec la vie et les autres, un homme qui écrit W, qui écrit La disparition pour lutter contre l'oubli, la béance, le néant. 
Livre inoubliable.

Grâce au lien ci-dessous, vous trouverez les quatre émissions de "La compagnie des oeuvres" consacrées par France Culture à Georges Perec.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-georges-perec-mode-d-emploi

Grâce au lien ci-dessous, vous trouverez l'enregistrement et la vidéo d'une rencontre autour de Georges Perce, d'un hommage qui a eu lieu aux Champs libres à Rennes :




dimanche 7 mai 2023

De Venise à Venise

Auteur : Pier Maria Pasinetti (1913-2006) qui aimait à être appelé P. M. Pasinetti

Traduit de l'italien par Soula Aghion
Éditions Liana Levi


En 2018-19 se trouvait sur le chemin qui me menait à La Sorbonne Nouvelle une jolie librairie attirante et richement achalandée dans laquelle ce livre fut un jour mis en valeur. Après avoir été aimantée par le titre, j'ai été subjuguée par le fulgurant début situé de manière peu habituelle dans le cabinet d'un dentiste, Alvise Balmarin. Bientôt le narrateur nous apprend que le centre de son attention de scripteur ne sera pas Alvise mais sa fille Giovanna. Autour de cette belle et remarquable jeune fille gravitent les membres et les connaissances de trois anciennes familles vénitiennes qui, 
dans les années 1920, habitent trois étages différents d'un même immeuble situé dans le sestiere de Dorsoduro. Parallèlement l'auteur rend compte du fascisme qui se développe et bientôt triomphe en Italie, gangrénant les esprits et toutes les sphères de la société. Il faut bien la sagesse d'Alvise pour ne pas se laisser entraîner dans les méandres sans issue de l'idéologie mortifère dominante.

Un personnage éminent qui ne cesse de se montrer dans les cercles du pouvoir politique et religieux fait figure de clown pitoyable au service d'une Idée au-dessus de tout qui évince tout ce qui est humain tandis que le dentiste est présenté dans son quotidien modeste, et, justement, son humble et bouleversante humanité.

La narration utilise deux procédés : la soit-disant réminiscence de faits s'étant déroulés des dizaines d'années auparavant et le point de vue d'un "narrateur omniscient". Il y a là une grande richesse qui peut parfois perdre un peu le lecteur, de la même manière que les incessants allers-retours entre les années vingt et plusieurs moments plus tardifs dont fait partie l'ultime moment fictif d'écriture des souvenirs. 

J'ai beaucoup apprécié la tentative de rendre compte des incohérences, des trajets serpentins, revirements, et minuscules pensées, infimes sensations de certains personnages, un peu à la manière de Nathalie Sarraute. Comme toutes les oeuvres importantes, ce livre pose la question de son écriture. Comment rendre compte de l'infinité des choses ? Que la narration doit-elle choisir ?

J'ai été subjuguée par le début, disé-je, et tout à fait bouleversée par la fin. Certains personnages me resteront longtemps en mémoire : Alvise, Giovanna, mais aussi cet autre sage, Edoardo Bialevski qui, après une longue vie qui a traversé les deux guerres partage ce qui lui semble être la quintessence de son parcours : "Pensez-en ce que vous voudrez, le tableau reste celui-ci : dans chaque partie du monde, des anthropoïdes acéphales toujours renouvelés projettent et exécutent de nouveaux carnages. Eh bien moi je dis (...), et cetera : Ohne mich. A blague on both your houses. Qu'ils aillent tous se faire foutre."

Nous sommes en 2023, cette pensée est toujours désespérément d'actualité.

Venise, ville-rêve à dormir debout, est célébrée pour sa musique, son architecture et sa peinture mais ses fous d'amour ont également écrit des oeuvres inoubliables. Michel et moi ne ratons pas une occasion d'aller saluer très amicalement mais aussi avec une certaine émotion Joseph Brodsky, un autre transi qui a écrit ce joyau qu'est Acqua Alta. Et il existe à La Sorbonne Nouvelle un cours intitulé "Le motif vénitien dans la littérature"...

Vous trouverez grâce à ce lien l'article paru dans Le Monde lors de la mort de P. M. Pasinetti :

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2006/08/10/pier-maria-pasinetti_802565_3382.html


dimanche 9 avril 2023

L'Anomalie

Auteur : Hervé Le Tellier (1957-)

Éditions Gallimard, Coll. NRF


Noir, c'est noir. Outch !



La première rencontre est avec cette figure abjecte, repoussante, beurk beurk beurk !, de Blake, détestable mec mais écriture brillante.
Sitôt après cette entrée en scène qui ne rate pas son effet se pointe le gugusse aux contours assez flous qui a des accointances avec l'auteur himself, l'une d'elle étant qu'il est l'auteur à succès d'un livre intitulé... L'anomalie ! Le lecteur se trouve illico presto plongé dans les méandres d'un roman psychologique, roman dans lequel le personnage se persuade que "rien n'est moins tragique" que la mauvaise vente de ses livres et "qu'une désillusion est le contraire d'un échec". Qu'est-ce que ce virage sur l'aile ? Ne se jouerait-on pas de moi, par hasard ?



C'est le même gars, là, sur la photo ? Le même qu'en haut ? Ah ben ça alors...

Qui déboule ensuite ? C'est cette femme fatale, hyper froide, femme-glaçon, femme pressée et efficace de Lucie, la monteuse d'hommes et de films.
Le suivant, quatrième personnage, est précédé par cette phrase-laser, cette phrase-serpent, cette phrase musicale qui siffle et qui chuinte avec ses allitérations, cette phrase qui claque et se referme comme un piège avec son implacable forme ABBA. Clac ! F-i-fi, n-i-ni ! FINI !

Un personnage égale un genre littéraire égale un style d'écriture. Et deux personnages identiques ? Est-ce possible ? X peut-il cohabiter avec X ? Pour survivre, X doit-il tuer X ?
Guidé, pressé, secondé, filé, cornaqué par tous ces personnages et ces embryons de genre, le lecteur (moi, toi, moi et toi, et lui aussi, l'autre lui et l'autre encore, le 3e, ouh la la...) est subrepticement et irrémédiablement entré dans la SF. En sortira-t-il vivant ?

Brillant, brillant, brillant. Michel a adoré et l'a offert à nos trois filles. L'oulipisteur Hervé Le Tellier a été plébiscité, son livre enflammant le public, fulgurante trainée de poudre, énorme succès tout à fait mérité. De mon côté, je salue l'écriture, je salue le jeu littéraire, le jeu mathématique souterrain, les niveaux multiples, l'histoire, le rythme,  l'audace, le ficelage, le staccato. Ce livre ne m'a cependant pas fait pousser des cris de joie, la cause n'étant pas du tout une affaire de qualité mais une affaire de goût et comme m'avait dit Tiphaine enfant : "Maman, chacun son mauvais goût". Pan sur le bec !

Grâce aux liens suivants, vous découvrirez des présentations très intéressantes de cette oeuvre qui a reçu le prix Goncourt et de multiples autres prix.


https://www.franceculture.fr/oeuvre/lanomalie









Vous trouverez dans le lien ci-après l'interview de 7'45'' que Hervé Le Tellier a donnée à France Inter en 2011 à l'occasion des cinquante ans de l'Oulipo, l'Ouvroir de Littérature Potentielle : https://www.dailymotion.com/video/xgc95q
Vers 6', il parle de la contrainte que l'on peut se donner pour faire entrer des personnages dans une histoire.

Vous trouverez dans le lien ci-après la troisième partie de l'émission "Des papous dans la tête" du 7 juin 2008, donnée par la fameuse troupe dont faisait partie Hervé Le Tellier : https://www.dailymotion.com/video/x6a2de



Et là, enfin, l'écrivain et son double embusqué (celui qu'il convient de tolérer, ou d'éliminer ?)


Connemara

Auteur : Nicolas Mathieu (1978-)

Éditeur : Actes Sud


Michel qui avait lu ce roman souhaitait que nous puissions échanger à son propos. Bien que je n'étais pas très encline à m'exécuter, redoutant la fameuse écriture relâchée, la manière orale sans style ni tenue qui m'agace voire me décourage de manière rédhibitoire, j'ai ouvert le livre. Et bien m'en a pris.

Après avoir été rebutée par quelques tournures de la trempe que je déteste et qui m'horripile - mais c'était moi qui étais aveuglée par mes a priori, n'ayant pas encore compris que l'auteur employait le style indirect libre -, je suis entrée dans l'histoire. Les personnages et les trajectoires ne m'ont plus lâchée. Nicolas Mathieu, en très fin observateur de la société actuelle, ses dérives, ses impasses, son jeu de dupe, ses gagnants sans scrupules et ses laissés-pour-comptes, a beaucoup d'attention non seulement en général sur ses contemporains mais également sur les habitants de sa région de naissance, sur les tics et les tocs de notre société hystérique de ses consultants, ses hommes politiques, ses assoiffés de pouvoir, hommes qui confisquent la place pour eux seuls. On patauge dans le marasme dégoûtant du langage administratif passe-partout, prêt-à-employer, prêt-à-banaliser, prêt-à-spolier.
Le lecteur fait ainsi la rencontre d'une femme issue de la classe moyenne et qui, munie d'un cerveau bien ordonné doué pour les études, a réussi à assimiler les codes de la caste dominante sur les plans économique, social et culturel. Adolescente, elle était, comme toutes les filles de sa classe et probablement du collège, amoureuse de la star masculine locale de hockey sur glace. Lui s'est laissé peu à peu dériver jusqu'à finir par être l'un des innombrables anonymes de la classe des perdants. 

Le livre mène de front deux temporalités, celle du passé avec les minuscules et grandioses événements de l'adolescence racontés au présent comme si l'on ne pouvait pas s'extraire de ce moment fugitif, passionnant et cruel, et le présent des adultes revenus de leurs illusions et tentant de construire quelque chose d'autre,  les trajectoires des uns et des autres se (re)croisant, avec des verbes conjugués au passé, à ce qui n'a déjà plus (beaucoup) d'existence, ce qui est refroidi.

Après un commencement tambour battant, le livre réussit réussit l'exploit de ménager un crescendo irrésistible et implacable, jusqu'au climax du mariage, moment de tous les sommets et de toutes les chutes. Chut ! Je n'en dis pas plus sur ce point.
Chaque personnage a un relief remarquable, y compris les seconds rôles, celui de la stagiaire étant particulièrement inoubliable. Mais sont également inoubliables les tragédies qui se jouent lors des match de hockey, les scènes multiples avec les uns et les autres. Des mois après avoir lu ce livre, j'ai l'impression d'avoir connu ses personnages, mes impressions de lecture sont restées très vivaces, comme si j'avais moi-même vécu ce qui est raconté.

Après tout cela, bien sûr, je vous recommande ce livre qui, en plus d'être un roman haletant, nous en dit long sur notre société.
Au fait, pourquoi Connemara ? Éh, éh...


Connemara", dernier roman du Goncourt Nicolas Mathieu : la ...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Mathieu_(écrivain)

Voici une très belle présentation de ce livre dans le blog littéraire "En attendant Nadeau" : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/03/02/sans-amour-nicolas-mathieu/