“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

mardi 4 octobre 2011

Les Tortues de Tasmanie

Auteur : Jack London (1876-1916)

Traduit de l'américain par Louis Postif
Éditions Phebus. Collection Libretto.

Dans la nouvelle de Raymond Carver Là d'où je t'appelle qui fait partie du recueil Les vitamines du bonheur, Franck Martin, le responsable du centre de désintoxication "plante son cigare dans sa bouche et croise les bras. Il le mâchonne en regardant de l'autre côté de la vallée. Il se tient là comme un boxeur, comme un mec qui connaît la musique. [...] Franck Martin décroise les bras et tire une bouffée de son cigare. Il fait des volutes avec sa fumée. Puis il lève le menton vers les collines et dit :
- Jack London avait une grande maison de l'autre côté de cette vallée. Juste derrière cette colline verte que vous regardez en ce moment. Mais l'alcool l'a tué. Que ça vous serve de leçon. Il valait mieux que n'importe lequel d'entre nous. Mais il n'arrivait pas à se maîtriser non plus.
Franck Martin regarde ce qui reste de son cigare. Il s'est éteint. Il le jette dans le seau.
- Les gars, si vous avez envie de lire quelque chose pendant votre séjour ici, lisez donc son bouquin, L'appel de la forêt. Vous voyez duquel je parle ? Nous l'avons à la bibliothèque, si vous voulez lire. C'est sur un animal moitié chien, moitié loup. Fin du sermon, dit-il, remontant son pantalon et tirant sur son sweater."

Au tout début de mon année de Seconde, en 1980, la librairie située à deux pas du lycée Lamartine à Paris avait bradé son stock avant de fermer. J'en avais profité pour acheter Histoires des îles. Sur la couverture, une photo montre Jack London en costume hawaïen. Premier contact empreint d'attirance et d'une certaine peur que je ne sais expliquer. J'attendis donc de nombreuses années avant de lire ce recueil. Puis je souhaitai qu'il fasse partie d'une des listes destinées à la rencontre autour des nouvelles mais les oeuvres de London n'étaient plus éditées au moment de la constitution de cette sélection. Fort heureusement elles le sont à nouveau. Cette immense oeuvre ressort, volume par volume, depuis quelques mois. Suite à la lecture de Raymond Carver, je suis allée chercher Les Tortues de Tasmanie dont j'ai récemment fait l'acquisition. Il s'agit du dernier volume édité avant la mort de London. Cette édition a elle aussi une photo de l'écrivain sur sa couverture. Photo très différente puisque London y pose en costume de monsieur. Ces photos sont envoûtantes. Plongeant dans l'objectif, le regard de London est fascinant. Il se donne et se protège ou se retire tout à la fois.

Dans ce livre, l'auteur m'a semblé plusieurs saisi par l'imminence du point final -la dernière nouvelle est intitulée La fin de l'histoire- Les nouvelles sont méditatives ou philosophiques. Les personnages sont touchés par la conversion ou la grâce d'une rencontre qui donne un sens à leur vie de questionnements ou d'errements.
Dans la première nouvelle, on observe deux frères que la manière de vivre oppose radicalement. L'un souhaite s'ancrer pour toujours, l'autre larguer les amarres pour longtemps, deux tendance opposées, inconciliables de Jack London, continuelles sources de tensions.
La mort est quasiment toujours présente. Face à elle, les personnages font le bilan de leur vie. Voici donc à nouveau une lecture qui nous incite à nous poser quelques instants et regarder en arrière pour mieux diriger notre paquebot vers le port.
Les styles et les genres sont extrêmement variés. L'une des nouvelles, La fin de Morganson, m'a laissée haletante. Quel talent prodigieux !
Dans la dernière nouvelle, il m'a semblé qu'en s'identifiant au médecin, en lui faisant tailler les muscles de son patient et gratter jusqu'à l'os, l'artiste créateur était Le Créateur, qu'il pouvait ressusciter l'homme.
Partout, j'ai ressenti les élans puissants de l'enthousiasme, la générosité, la soif d'aventure, la grandeur d'âme. Dans cette littérature, il y a un souffle puissant et un mystère insondable.

http://www.jack-london.fr/pages/toutSavoir/bio3.php

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