“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

jeudi 31 décembre 2020

Un membre permanent de la famille

Auteur : Russell Banks (1940-)

Traduit de l'anglais (américain) par Pierre Furlan
Éditeur : Actes Sud



J'ai lu ce livre à deux reprises. La première fois, je n'ai pas perçu la subtilité de l'écriture à sa juste valeur, trop avide du spectaculaire moment de bascule, typique de ce genre qu'est la nouvelle. Souvent, et même si elle m'avait accrochée, il me semblait que l'écriture était un peu (négativement) neutre. J'ai laissé ce livre non terminé dans ma table de nuit. Plusieurs mois plus tard, je l'ai réouvert, ne me rappelant plus vraiment du nombre de nouvelles déjà lues. Surprise !, dès les premiers mots de chacune d'elles, l'histoire me revenait immédiatement et avec une très grande précision. Et me revenait aussi un grand nombre d'émotions. Cette seconde lecture m'a procuré le délicieux et irremplaçable plaisir de l'approfondissement. L'auteur sait distiller et ordonner les mille et un détails qui donnent le relief. En homme hypersensible à tout - dont l'infime -, il perçoit et fait émerger de l'énorme fatras quotidien le minuscule moment du renoncement, de l'abdication de la volonté, abdication de la raison, de l'estime de soi, de la dignité, moment de la perte irrémédiable de la conscience individuelle, de l'acceptation de la saleté, de de la faute et du déluge, de l'avilissement et de la chute.



À des hommes et des femmes, ces douze très puissantes nouvelles nous proposent un miroir dont toute complaisance est bannie. Je le recommande très chaudement.

Ce lien pour permet d'écouter une émission de France Culture dans laquelle il est question de ce recueil de nouvelles.

Celui-ci, issu de France Inter, se donne 3 minutes pour présenter le livre. 

La Réserve

Auteur : Russell Banks (1940-)

Traduit de l'anglais (américain) par Pierre Furlan
Éditeur : Actes Sud



Esthétiquement très belle, la couverture de ce livre est diaboliquement parfaite où l'on perçoit en un clin d'oeil la tension psychologique, à la fois égotique et érotique, entre cette jeune femme qu'on sait depuis toujours très belle et très consciente de sa beauté qu'elle offre, et le pilote de ce biplan promenant avec passion son allure folle, arborée dans un avion symbole de liberté, donc de liberté sexuelle. Lequel des deux domine l'autre ? Dans la dimension spatiale, lui est au-dessus, elle en-dessous mais on ne peut oublier cette posture arrogante, délibérément cambrée, poitrine mise en valeur et les mains sur les reins. L'avion serait-il un insecte qu'attire en son sein la plante carnivore qu'est la vallée ? Ne manquez pas de porter attention aux bois à gauche et à droite de la page, les bois, symbole maternel, jamais anodins, jamais disposés par hasard...

Pour donner envie d'acheter le livre, les éditions Actes Sud avaient édité un opuscule contenant le premier chapitre. Banco ! Ce premier chapitre, d'une virtuosité redoutable - l'écrivain sachant à la perfection piloter son engin de voltige -, met en place ce qui ne manque pas d'apparaître comme un piège diablement sulfureux. J'ai eu peur qu'il ne s'agisse que d'une nouvelle. Quel soulagement quand j'ai lu que c'était en fait le début d'un roman, qu'il y avait une suite ! Je me suis précipitée dans notre librairie Gwalarn pour faire l'acquisition de ce magnifique roman, sommet de suspense et travail d'orfèvre sur les découvertes psychanalytiques, psychiatriques et technologiques du début du XXe siècle. Je ne trouve qu'un défaut à cette oeuvre : l'auteur ne sait pas terminer. La fin est décevante, pas du tout à la hauteur de l'époustouflant ensemble. 
Longtemps, longtemps : Qui domine l'autre, lequel est au-dessus ? Le lecteur ? L'écrivain ? L'écrivain ? Le lecteur ?



Vous trouverez grâce à ce lien l'ensemble des émissions et des interview ou chroniques consacrées par France Culture à Russell Banks : https://www.franceculture.fr/personne/russell-banks

Claudine à l'école

Auteur : Colette (1873-1954)

Éditeur : Le Livre de Poche


Comment est-ce possible d'avoir eu autant de liberté et d'audace, liberté et audace offertes dans l'écriture vif-argent ? Cette Colette est absolument sidérante, narrant dans ce roman une année de son enfance/adolescence dans une petite école de Bourgogne. Cette période se partage entre la passion de la nature (ah, l'incipit, ce début d'une singularité crâne, à la fois ironique et moqueur envers les rédacteurs dénués de talent qui gribouillassent de laborieuses notices erronées sur son village, et exalté sur les bosquets, les bêtes et les feuillages, dévoilant à brûle-pourpoint la sensualité du rapport de Colette à son environnement naturel...), le désir pour d'autres filles, qu'elles soient jeunes femmes ou encore quasi fillettes, les chats - métaphore de Colette elle-même -, l'érotisme, la vivacité intellectuelle hors-norme, une lucidité hallucinante et une certaine cruauté mais encore l'acuité visuelle et psychologique, tout cela étant couché sur le papier grâce au génie de la formule et du rythme. C'est un feu d'artifice, un choc à chaque page et plusieurs fois par page !, le souffle coupé par l'étonnement, le rire, l'admiration, la stupéfaction. Je me suis demandé comment, après un début aussi arraché à la platitude, aussi virtuose, Colette allait réussir à tenir le lecteur en haleine. Le défi est relevé avec un brio infini, l'écrivaine parvenant même à faire progressivement monter la tension dramatique jusqu'à l'explosion finale du passage d'examen, morceau de bravoure qui tente vainement de cacher la mélancolie et la conscience que la vie est déjà quasiment finie, que tout est presque terminé quand l'interminable enfance a soudain passé, a passé d'un coup, sans prévenir. Quel vertigineuse découverte ! 



Colette n'a pas volé sa nomination à l'unanimité à l'Académie Goncourt. Elle est la deuxième femme à qui la République a accordé des funérailles nationales.

Colette est publiée en intégralité dans la Pléiade.

Grâce à ce lien, vous pourrez découvrir toute les émissions que France Culture a dernièrement consacrées à Colette : https://www.franceculture.fr/personne/colette

Le lien suivant permet de lire une courte biographie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Colette

Enfin, celui-ci, très bien fait, évoque l'adaptation qui a été faite en BD de ce roman : https://www.telerama.fr/livre/la-bedetheque-ideale-191-claudine-a-lecole,-de-lucie-durbiano,-dapres-colette,n5621365.php


Portrait de Colette, vers 1896, par Ferdinand Humbert 







mercredi 30 décembre 2020

Paris est une fête

Auteur : Ernest Hemingway (1899-1961)

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Saporta
Éditions Gallimard. Collection Folio (n° 465)


Au soir de sa vie, après avoir été présent et actif sur le théâtre de toutes les guerres de son temps, après avoir miraculeusement échappé à tant d'accidents et de blessures, Ernest Hemingway réceptionne une malle contenant des écrits perdus depuis très longtemps. Ces textes revenants lui permettent de rédiger le dernier ouvrage de sa vie, qui sera publié post mortem. Hemingway y revient sur sa vie de bohème à Paris, dans les années vingt. Il est, à cette époque heureuse, marié à Hadley de qui il a un fils. Le couple fait vaillamment face aux problèmes d'argent. Il faut monter du charbon quand on en a. On grelotte quand il n'y en a pas. On va à Enghien pour jouer aux courses et tenter de se refaire. Si les Hemingway ont quelques sous de côté, ils se réfugient en montagne durant l'hiver. Là encore, le bonheur parcourt les pages, éclatant dans la neige étincelante, dans la découverte émerveillée du ski. 

Mais ce n'est qu'après avoir vécu que l'on se rend compte de la jeunesse et du bonheur qui ont fui. Ernest qui n'est alors pas encore Hemingway et a à construire son métier et son statut d'écrivain, sillonne Paris à pied. Soutenu sans faille par Hadley, il passe ses journées dans les cafés parisiens où il écrit, écrit et écrit encore. Centré sur sa vocation et la recherche de son style, il laisse s'échapper l'amour si généreux dont il fait l'objet. Et ce livre que l'on croyait être un hymne au Paris de la fête, des lumières qui clignotent, de la joie qui brille et est un brin superficielle, est en fait un chant d'extase nostalgique à l'amour perdu. Dans les mots qui redonnent vie, qui en recréent l'écrin, quelle mélancolie, quelle tendresse, quelle tristesse parfois ! Hemingway a une façon unique de parler au lecteur, sans affectation ni complaisance, dans une apparente simplicité qui touche très profondément. C'est déchirant. S'il a sillonné Paris, il a sillonné également son âme et c'est bien là le livre de quelqu'un qui a vécu et qui connait et l'ivresse et les souffrances de la vie.

J'avais, comme des dizaines de milliers d'autres, acheté ce livre après les attentats de novembre 2015. Je ne l'ai dévoré qu'il y a quelques semaines, après avoir ouvert au hasard une page et lu tout haut pour aider Michel à s'endormir. Effet immédiat sur Michel, l'autre conséquence étant que j'ai été happée par cette écriture, hop ! d'un coup harponnée, aimantée par l'alliage de ce qui se présente parfois comme des bribes de reportage et de la dimension intime de cette magnifique écriture.

Dans "La compagnie des auteurs", France Culture a consacré quatre émissions à cet auteur, la dernière tout spécialement sur Paris est une fête.

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/ernest-hemingway-14-lenvers-de-sa-propre-legende

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/ernest-hemingway-24-hemingway-et-lexperience-des-limites

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/ernest-hemingway-34-lart-de-hemingway

https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/ernest-hemingway-44-paris-est-une-fete



                                                                                                                                                Isabelle


mardi 29 décembre 2020

Le Nazi et le Barbier

Auteur : Edgar Hilsenrath (1926-2018)

Traduit de l'allemand par Sacha Zilberfarb et Jörg Stickan
Éditeur : Le Tripode


Oh bon d'là, quelle secousse ! Ça vous flanque une de ces gifles, cette affaire ! Il s'agit de nouer ensemble l'irréconciliable, l'absolu non-nouable : la Shoah et le burlesque, le grotesque même, le parcours d'un génocidaire avec le rire. Autant dire que le rire est grinçant, que pour moi, même, il n'y a jamais eu le moindre prémisse de rire et que j'ai pataugé du début à la fin dans le glauque et le nauséeux. Aucune larme non plus, mais une entrée effarée dans l'inconnu, dans le bal des vampires, dans le tunnel grimaçant des horreurs présentées sans aucun pathos. Ne cherchez pas, il n'y en a pas. Pas de pathos.

Le narrateur est non seulement homodiégétique - il est présent dans l'histoire qu'il raconte - mais autodiégétique, c'est-à-dire qu'il n'est pas seulement témoin des événements qu'il présente mais qu'il est le héros de l'histoire. Peut-on pour autant parler de héros ? Le narrateur est un Allemand qui, pour échapper à la poursuite contre le génocidaire nazi qu'il est, après avoir assassiné des milliers de juifs dans un camp, prend l'identité de son ami d'enfance juif, étudie et devient plus juif que juif, va jusqu'en Israël et termine sa vie sans être inquiété le moins du monde même après avoir révélé sa forfaiture. Tout cela est enlevé avec un sens aiguissime du rythme, du contraste, du choc, du cru et de la dérision tous azimuts. Une émulsion des plus électrisantes, avec les doigts dans la prise du début à la fin. Mais heureusement qu'il s'agissait d'un livre offert par nos amis Marie-Christine et Jacques car j'aurais eu du mal à faire face à cet OBNI (Objet Littéraire Non Identifié), notamment au milieu du livre où l'alliance contre-nature du fond et de la forme a commencé à me donner une de ces fatigues, une de ces lassitudes et une interrogation des plus déroutantes. Marre de la saleté, même sous cette forme qui se joue de toute lourdeur. Pourtant je recommande très chaudement ce livre qui nous met sous les yeux le lien indissociable du nazisme avec la sexualité, avec les multiples formes de déviance sexuelle d'une part et qui pose des questions très profondes de ce qu'est l'identité. Et puis, ce livre donne à palper l'incroyable puissance de la littérature. Quelle expérience, quelle expérience ! Merci, les amis !!

Edgar Hilsenrath n'a pas trouvé d'éditeur en Allemagne malgré la critique élogieuse de l'immense écrivain Heinrich Böll rendant hommage à la qualité littéraire de l'œuvre et à son style « qui foisonne plein de sève et pourtant touche souvent juste, déployant une poésie à la fois sombre et calme »

"Écrit durant l’exil d’Hilsenrath à New York, le livre fut d’abord un best-seller aux États-Unis avant d’être publié en Allemagne, avec un succès polémique. Désormais considéré comme un classique, ce titre montre un autre aspect, tout aussi iconoclaste, du génie littéraire de l’auteur de Fuck America." Ed. Le Tripode.



Vous trouverez dans ce premier lien une présentation de l'histoire. 
https://le-tripode.net/livre/edgar-hilsenrath/meteore/le-nazi-et-le-barbier

Vous trouverez dans ce deuxième lien une critique d'un des membres de Téléram, qui adjuge trois T au livre, ce qui signifie "aime passionnément". 
https://www.telerama.fr/livres/le-nazi-et-le-barbier%2C53872.php


lundi 28 décembre 2020

Les frères Karamazov

Auteur : Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821-1881)

Traducteur : Henri Mongault
Éditeur : Gallimard (Folio Classique)



On croit toujours qu'ils sont trois : Dmitri - dit aussi Mitia -, Ivan - dit aussi Vania -, et Alexeï - qu'on appelle souvent Aliocha -, mais comme les mousquetaires, leur nombre réel est quatre car leur géniteur, père indigne qui a délaissé ses enfants petits, jouisseur invétéré, semble être également à l'origine de l'existence de Pavel Smerdiakov, vite fait mal fait avec une pauvre femme que la folie habite. Ce quatrième dont la filiation n'est pas officielle est serviteur dans la demeure patriarcale
Durant les quelques jours noirs (ar mizioù du, les mois noirs de novembre et décembre, comme la langue bretonne les nomme si bien) que scelle le drame, les trois frères Karamazov vont et viennent dans la petite bourgade, ne cessent de sillonner les chemins malaisés pour se rendre chez les uns chez les autres et chez leur père honni. Ces quatre personnalités déclinent toute la gamme des vices et des vertus, se débattent dans les affres de la lutte entre la passion débridée et la raison qu'ils appellent de leurs voeux. L'un est le jouet de sa nature généreuse et de son exaltation, l'ensemble étant convulsé par l'alcool. Le deuxième est rongé par sa culpabilité et son besoin d'émancipation face à ce qu'il ressent comme une insupportable aliénation morale et religieuse. À la mort de son mentor et modèle, Le troisième est désorienté et manque d'être terrassé. Enfin, sordide fantôme fantoche, le dernier interprète des paroles plus ou moins sibyllines et agit dans l'ombre. Le tiraillement devient bientôt écartèlement, torture morale, fuite en avant, dévastation débridée ou consolation. Quos deus perdere vult, dementat prius disent les Romains. "Ceux qu'il veut perdre, le dieu les rend d'abord fous".
Si la tension est celle de l'âme entre conscient et inconscient (ce n'est pas pour rien que la traduction proposée par Folio Classique est préfacée par Freud...), elle est aussi celle du corps et de la culture. Représentée par le vêtement traditionnel qu'est le caftan, la Russie semble représenter la dimension physique, corporelle, - sensuelle - de l'être quand l'Occident que symbolise le costume occidental représente la dimension cérébrale. Éternelle ambivalence entre Orient et Occident. Dostoïevski le demande déjà : la Russie fait-elle partie de l'Europe ?

À bord de ce gros livre/bateau ivre - quasiment mille pages dans les éditions de poche -, le lecteur effectue une très grande traversée dans la proximité d'êtres déchirés et déchirants. "Dernier grand roman de Dostoïevski, Les Frères Karamazov paraissent en revue de 1879 à 1880 dans la revue "Le Messager russe". À mesure des livraisons, le succès va grandissant, renforcé par les lectures qu'en donne l'écrivain aux soirées littéraires, du moins dans le public car la presse réagit en fonction de ses convictions démocrates ou conservatrices. Les attentats terroristes se multiplient, les pendaisons aussi. L'empereur Alexandre II est déjà condamné par le Comité exécutif des révolutionnaires de Terre et Liberté. L'œuvre racontait la mise à mort du père, la rébellion sanglante des fils, et tentait de les conjurer. Elle venait à point nommé." (Gallimard).

Il ne s'agit évidemment pas d'un roman facile, d'une oeuvre qui se lit légèrement. Cependant, nulle appréhension ne doit faire renoncer à entamer ce pavé. Dostoïevski articule admirablement les chapitres. L'écriture est fluide qui sait décrire mais également insérer de très nombreux dialogues nerveux. Il utilise le procédé de la prolepse — ou anticipation —, figure de style par laquelle sont mentionnés des faits qui se produiront bien plus tard dans l'intrigue. Loin de supprimer l'intérêt de l'intrigue et le suspense de ce qui est également un thriller, l'auteur entretient ainsi et par d'autres tours encore une grande complicité avec le lecteur qu'il tente de persuader qu'il s'agit d'une histoire vraie dont il narre l'histoire par le menu, en observateur omniscient.

Dostoïevski parvient enfin à dessiner des personnages qu'il nous semble reconnaître. Quelle n'a pas été ma surprise de voir le nombre d'articles consacrés à cette oeuvre ! Parmi ceux-ci, les frères font l'objet d'une étude détaillée. Les personnages de femmes sont également essentiels. La puissance de cette oeuvre tient  à ce qu'il nous semble pouvoir rencontrer ses personnages fictionnels dans le quotidien de nos vies, reconnaître les traits de l'un ou de l'autre chez nos contemporains. Enfin, ce roman remet au centre la question du poids de nos actes et de nos paroles, les plus lourds comme les plus légers, les plus sensés comme les plus insouciants, il pose nos questions existentielles, interroge le sens de nos trajectoires hésitantes, entre réel et illusion, croyance religieuse et athéisme, réel et illusion, bien et mal.

Dostoïevski (1821-1881) est né la même année que Charles Baudelaire (1821-1867) et que Gustave Flaubert (1821-1880). Ce n'est pas peu dire que ces trois-là ont sondé l'âme humaine. Lisons, relisons ceux dont nous fêtons le bicentenaire de la naissance durant l'année qui arrive à grands pas.

Le premier lien ci-dessous est celui d'une des plus formidables émissions de France Culture : "Les chemins de la philosophie", le deuxième est celui d'un blogueur de littérature qui donne des pistes très intéressantes, dévoile plus l'histoire que moi et incite également à n'en pas craindre la lecture. C'est travaillé et très intéressant. Le troisième est également un commentaire des plus avisés, des plus honnêtes, le fruit d'un lecteur qui souhaite transmettre sa passion. J'ajoute les articles Wikipedia sur les trois Frères Karamazov. Et enfin une étude consacrée à Aliocha, personnage qui touche tant.








Voici la couverture très expressive de l'édition du Livre de Poche. Bonne lecture, les amis !




Enfin, un portrait de Dostoïevski :