“A quoi sert d’être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l’ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n’avoir qu’une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire.”

Mona Ozouf, historienne, auteur de La Cause des livres (Gallimard)


Existant grâce à une idée de Nicolas I, à l'aide avisée de David, Michel et Nicolas II (merci à ces quatre mousquetaires !), ce blog permet de proposer et partager des lectures. Après une rage monomaniaque autour de la nouvelle, le blog tente une percée en direction du roman-fleuve. Ce genre fera l'objet d'une rencontre amico-littéraire à une date non encore précisée. D'ici là, d'ici cette promesse d'ouverture, écoute et échanges, proposons des titres, commentons les livres déjà présentés, dénichons des perles, enrichissons la liste conséquente des recueils de nouvelles.


Chers amis, chers lecteurs gourmands, je loue et vous remercie de votre appétit jubilatoire sans quoi cette petite entreprise serait vaine.

Bonne lecture à tous et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Isabelle

dimanche 5 septembre 2010

C'est pas la fin du monde

Auteur : Kate Atkinson

Edition : Livre de poche

J'ai lu ce recueil alors que j'étais en Nouvelle-Calédonie l'été 2007 pour le stage de direction de chœur. J'ai ressenti une euphorie à la lecture, une grande joie malgré le désespoir contenu dans la plupart des nouvelles. Liberté, décalage, créativité, cocasserie. Je recommande vivement ce recueil qui traite d'une manière très distanciée sans être froide de la complexité des rapports humains, des liens entre parents et enfants, de la difficulté à communiquer, échanger, se comprendre.
Après la lecture de chacune des nouvelles, j'ai écrit un petit commentaire, à chaud. Je les transcris ici :

Charlène et Trudi font du shopping : Nouvelle complètement loufoque qui m'a mise mal à l'aise par la superposition entre la guerre et l'obsession d'inventaire des deux filles. Elles veulent ignorer la situation et j'ai ressenti une certaine forme de folie. Il m'a fallu du courage pour continuer le recueil. Après, je n'ai plus décollé du bouquin.

Tunnel de poissons : Extraordinaire nouvelle sur le manque de confiance en soi, la difficulté de dire à ses enfants qu'on les aime. Humour décapant, provoquant. Dérision malgré le désespoir. Ecriture revigorante, pleine d'une énergie de vie sans limite.

Fiction transparente : Il y a un rapport évident avec un mythe, mais lequel ? Encore une histoire loufoque et délirante. Beaucoup d'allure dans l'écriture. Cela ne ressemble à rien que je connaisse.

Dissonances : Magnifique nouvelle sur deux jeunes complètement paumés que l'accident grave pour l'un et le secours à autrui pour l'autre vont ramener à la question essentielle du sens de la vie et de la réalité. Sur fond du Quatuor des dissonances de Mozart. Une ovation pour le concert, l'écriture, la rythme, l'émotion donnée à la fin.

Un grand gâchis d'amour : Effroyable nouvelle sur un souteneur déguisé en père de famille respectable qui violente son fils et sa mère prostituée, quand ceux-ci se présentent à lui. A la mort du père de la honte, Addison se rend compte qu'il valait mieux être éloigné de cet être immonde, quitte à vivre dans la pauvreté et en orphelinat.

Traduction à vue : Encore une nouvelle sur les relations dégradéesdes parents séparés avec leur enfant. Le petit garçon a été confié à une nourrice qui entend lui donner une éducation irréprochable et beaucoup d'instruction culturelle. Il est comme un adulte. Il exprime un jour son besoin de rester avec sa nourrice car ses parents semblent ne pas faire cas de son existence. Je suis ressortie de là avec un poids certain de tristesse.

Sosies malveillants : Il faut aller voir du côté des Grecs, du Styx, du Léthé. On verse dans le fantastique. Froid dans le dos.

La maîtresse du chat : Etant insensible au fantastique, cette nouvelle ne m'a pas beaucoup plu. J'aime que l'écriture s'inscrive dans la réalité.

Le corps comme un manteau : Superbe et très émouvant, bouleversant même, malgré le grotesque des situations et l'ironie de l'écriture. J'ai pleuré à la fin et eu immédiatement envie d'écrire à Ani : Quel est le sens de notre vie ? Que faisons-nous sur Terre ?

Anomalie temporelle : Nouvelle unique qui nous donne à voir l'impossibilité de l'âme morte de séloigner de la Terre. L'entité reste auprès des siens. Elle réintègre finalement sa vie terrestre et c'est, à mon avis, là la partie la plus faible.

Accessoires de mariage : Tout à fait décapant, complètement désespéré. Déprimant et revigorant à la fois ! Comment est-ce possible ? Il s'agit là de la nouvelle solitude de Pamela suite au départ de la maison de ses deux enfants. Divorcée depuis belle lurette, elle est entraînée par sa copine dans une calamiteuse aventure de fabrication de merdouilles de mariage. Cette nouvelle est en relation avec la n°4, "Dissonances" ainsi qu'avec la précédente. Dans ce recueil, les nouvelles tissent des liens ténus ou plus solides les unes avec les autres. Je suis très sensible à ce souci de la forme générale du recueil.

Pleasureland : On termine comme on a commencé, avec Charlène et Trudi. La situation a évolué depuis le début du livre, a évolué en se dégradant. Charlène et Trudi sont enfermées dans leur appartement-tombeau. Voici une société dans laquelle on ne s'occupe plus des personnes malades ou en passe de l'être. Il faut vendre. Charlène et Trudi se réconfortent en énumérant des listes de biens de consommation. Elles semblent ne pas être trop déprimées et elles subissent leur sort avec une certaine soumission. Ce n'est pas la fin du monde mais leur fin à elles.

Les nouvelles de ce recueil s'organisent selon la forme musicale très connue ABA' ou encore forme en arche. Pendant qu'on lisait les nouvelles centrales, le temps a aussi passé pour les autres, nul n'est resté figé, des événements se sont déroulés. Ce livre a un rapport au temps singulier et passionnant.

Isabelle

1 commentaire:

  1. C’est pas la fin du monde. Kate Atkinson.

    J’aime beaucoup Charlène et Trudi. Elles tentent de saisir le monde en le listant. Elles ne peuvent le posséder ni l’éprouver par leurs sens, alors elles le listent. Elles sont les premières représentantes d’un modèle humain qui n’a pas encore émergé : celui de la civilisation post société de consommation. Celui qui devra apprendre à se passer de tout avant d’être enfin libre et ne plus s’occuper d’une seule chose : la seule qui vaille la peine : communiquer avec ses pairs et se tenir chaud.
    Il y a, de nouvelle en nouvelle des éléments qu’on retrouve: le chiffre 5, le petiri, le quatuor « Dissonances » de Mozart, l’homme-chat, Eos, le mariage de Mark et Rachel, les 7 sœurs et Buffy… Les personnages principaux font de brèves apparitions dans les autres nouvelles. Ce sont des portes dérobées qui mènent d’une nouvelle à l’autre. En première lecture, on ne s’en rend pas trop compte, mais en deuxième, ça crée une complicité avec l’auteur.
    Le personnage de Pam Mac Farlane me touche beaucoup : c’est la maman des deux horribles ados dans « Dissonances » (et la prof du fils de June dans une autre nouvelle) Dans « Dissonances », on a le point de vue de chacun des ados et dans « accessoires de mariage », c’est son propre point de vue, avec cette voix intérieure qui pose des questions sans réponse. Ça donne un effet de direct qui crée une grande proximité avec le personnage. Son regard sur le salon du mariage est irrésistiblement drôle, mais ce qu’elle incarne est infiniment triste : les déconvenues de la maternité et la solitude à l’aube de la vieillesse.
    Oh mon dieu, c’est trop affreux, pourvu que ça ne m’arrive pas ! Vite une tablette de chocolat !
    A bien scrontch tôt scrontch scrontch amis blo scrontch ggeurs.
    Hélène

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